Chapitre VII - À la Santé

Nous nous devrions d’écrire un long et fastidieux chapitre sur la situation économique de la Syldurie, mais faute d’être féru de cette science, je n’en dirai que quelques mots. Tout d’abord, la Syldurie dispose de peu de richesses naturelles, sinon quelques mines de cuivre peu productives. Elle est encadrée, comme nous le savons, de la Grèce, de la Turquie et de la Bulgarie, nations qui ne sont pas renommées pour leur opulence. Seul le tourisme, industrie récente, devrait permettre à cet état de relever la tête, mais il a préféré sacrifier l’hôtellerie de masse à la qualité de vie et d’environnement. Pourtant la Syldurie, loin d’être un pays surendetté comme le reste de l’Europe, s’autorise le luxe de porter secours aux pays voisins. Selon le Professeur Adhémar Komtatas, écrivain, journaliste, politologue, enseignant à l’université d’Athènes, le miracle de l’essor économique de la Syldurie n’a pas d’explication logique et tous y perdent non seulement leur latin, mais aussi leur grec. Pour Lynda, qui, comme nous l’avions remarqué, ne s’y retrouve guère dans les méandres de l’économie, l’explication est aussi claire qu’autrefois la source du Danube.

Si Lynda dormait mal, justement, ce n’est pas à cause des actions de Saint-Gobain où de Péchiney. Elle voyait chaque nuit, dans ses rêves, une petite fille aux longs cheveux roux, ligotée sur une chaise, dans une cave obscure, et qui l’appelait :

« Au secours ! Lynda ! Au secours ! Délivre-moi ! »

Puis le rêve s’estompait dans un épais brouillard.

Elle se réveillait, troublée. Qui était cet enfant aux cheveux de cuivre ? Lynda ne la connaissait pas, connaissait-elle Lynda. Était-elle vraiment prisonnière, ou ses liens étaient-ils allégoriques. Dans quelle ville se trouvait-elle ? Dans quel pays ? Comment la retrouver ?

Tel le roi Nébukadnetsar qui recevait du ciel des songes dont la signification lui était cachée, elle priait Dieu de lui envoyer un Daniel qui lui en fournirait la clé. Mais jusqu’à présent, aucune réponse ne lui avait été donnée.

Chaque matin, le secrétariat du palais inspectait minu-tieusement le courrier royal. Il traitait les affaires courantes et remettait à la souveraine toute lettre qui lui était personnellement adressée. Ce jour-là, un pli affranchi en France tomba sur son bureau. Lynda le tourna et retourna entre ses doigts.

L’adresse de l’expéditeur l’intriguait :

« Aïcha Bendjellabah, écrou no 414 327, Centre pénitentiaire de Paris-Santé, rue de la Santé, 75014 PARIS »

Elle l’ouvrit :

 

 

« Ma chère Lynda,

Tu ne t’attendais certainement pas à ce que je t’écrive de prison. Rassure-toi, je n’ai commis aucun crime dont j’aurais à rougir. Je n’ai pas le droit de téléphoner, ni d’envoyer de courriel, ni de recevoir de visite. Je ne puis te donner de détail car ma correspondance est surveillée, mais je compte à la fois sur tes prières et sur ton amitié pour me soutenir dans cette épreuve.

Ton amie, Aïcha. »  

Lynda posa la lettre sur son bureau, elle demeura quelques instants recueillie dans une prière silencieuse, puis elle décrocha le téléphone.

« Allo ! Pavel ! Tiens-moi le Sylduria Force One prêt à décoller dans les meilleurs délais. Tu te charges de la révision, niveau d’huile et tout ce qui s’ensuit, que je ne tombe pas en panne au beau milieu de l’Adriatique. Merci pour ta célérité. »

Le temps de donner quelques ordres à Éva, Elvire et consorts, d’embrasser Julien et les enfants, et la voilà sur le tarmac.

Le Sylduria Force One est, rappelons-le, un petit bimoteur acheté d’occasion, loin de la mégalomanie aéronautique des grands de ce monde, mais cet aéronef est bien suffisant pour envoler en toute discrétion notre reine jusqu’à Toussus-le-Noble. De cet aérodrome, elle se rendit en taxi jusqu’à la place Denfert-Rochereau, à proximité de laquelle elle s’installa dans un hôtel modeste.

Le lendemain, après le petit déjeuner parisien composé de parisienneries que nous appelons, bien à tort, des viennoiseries, elle prit le chemin de la rue de la Santé et de sa célèbre prison. Une affiche placardée à la vitrine d’une boulangerie la fit sursauter. Elle y reconnut le visage de la jeune fille qui, dans ses rêves, l’appelait au secours.

« Enfant disparu : Zoé Duval, treize ans et demi. Elle a été vue pour la dernière fois au collège Georges Brassens, à Taverny. Elle portait un pantalon et un blouson en jean. »

« Me voici à Paris avec une double mission, pensait Lynda, libérer Aïcha et retrouver cette Zoé que je ne connais même pas. »

Devant la porte d’acier, Lynda prit une profonde respiration puis, s’adressa au factionnaire :

« Bonjour, Monsieur, je voudrais visiter Mademoiselle Belkadri.

– Qui ça ?

– Je veux dire, Madame Bendjellabah, Aïcha Bendjellabah.

– Vous êtes de la famille ?

– Non. Enfin… Oui… Dans une certaine mesure, je suis sa sœur.

– Vous ne vous ressemblez pas. De toute façon, cela ne change rien. Elle est en quartier de haute sécurité. Personne n’a le droit de la voir.

– Elle est dangereuse à ce point là ?

– Elle a failli éborgner un CRS avec ses ongles. Maintenant, circulez, vous n’avez rien à faire ici.

– Mais je circulerai si je veux, mon petit bonhomme.

– Quoi ?

– Ce n’est pas à vous de me donner des ordres. Je suis la reine de Syldurie, un petit pays qui monte alors que le vôtre dégringole.

– C’est ça, et moi, je suis François Hollande ! Allez, allez, dégagez, avant qu’on vous évacue par la force des matraques.

– Celle-là, on me l’a déjà sortie. Vous n’êtes pas le président de la République, et moi, je vous répète que je suis la reine de Syldurie, et j’exige qu’on me laisse voir Aïcha.

– Ne commencez pas à m’énerver, je vous préviens, ça pourrait mal finir ! »

Lynda tira son passeport de son blouson, qu’elle présenta au gardien. Celui-ci reconnut le visage, mais ne savait lire le cyrillique.

« Attendez un moment. »

Il décrocha le téléphone et avertit sa hiérarchie de son aventure. Ladite hiérarchie ne tarda pas à montrer son museau et, après avoir longuement examiné le passeport de Lynda, invita celle-ci à pénétrer dans l’enceinte.

« À titre tout à fait exceptionnel, en raison des relations diplomatiques entre la France et la Syldurie, vous êtes autorisée à visiter la détenue. Si Votre Majesté veut bien me suivre… »

Une demi-douzaine de gardiens en armes conduisit notre amie à travers les sinistres couloirs de la prison. Ces gardiens n’avaient d’ailleurs pas été informés sur son identité, mais ils obéissaient aux ordres sans réflexion.

 

 

Après avoir franchi plusieurs portes blindées dignes de Fort Knox, elle fut enfin conduite dans une cellule grise de six mètres carrés aux murs sales et à l’unique vitre brisée, sans table ni chaise, juste un lit étroit sur lequel Aïcha, en habit de prisonnière, était allongée.

« Tiens ! Bendjellabah ! Du monde pour toi. »

 

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