Chapitre XXXI - Flagellation

 

Pendant que l’ascenseur conduit à la mort Lynda et ses compagnons, Judith, qui comptait faire la grasse matinée, se retourne sur son lit et constate l’absence de son amant ?

« Qu’est-ce qu’il est allé faire, cet abruti ? Je n’aime pas ça du tout. »

Elle se lève, enfile une robe de chambre et une paire de pantoufles, s’empare d’un revolver et se dirige vers le sous-sol pour constater l’absence des cinq prisonniers. Elle dissimule l’arme sous son vêtement et retourne au salon où elle trouve Franck, affalé dans un bon fauteuil, sirotant son premier whisky.

« Déjà levée, ma biche. Tu veux boire quelque chose ?

– Où est Lynda ?

– Elle aussi, elle est en train de boire, mais c’est sans alcool, pas très bon. Ça ne vaut pas le whisky. »

 

Judith disparaît dans la chambre, le temps de chausser une paire de souliers à hauts talons, et reparaît face à son compagnon.

« Je n’ai pas bien compris ta réponse, mon chéri, alors je repose ma question : où est Lynda ?

– Dans la mine, en train de boire la tasse. Et glou, et… »

Franck bascule à la renverse avec son fauteuil, foudroyé par un talon impitoyable.

Maintenant, Judith pointe son arme sur lui.

« Écoute-moi bien, minable. Je vais la chercher, et tu as intérêt à ce qu’elle soit encore en vie, parce que si jamais j’arrive trop tard, je te tire une balle dans chaque poignet et dans chaque cheville. »

Frank tente de se redresser. Elle l’assomme d’un coup de crosse.   

Dans la fosse, les prisonniers, immergés jusqu’au menton, vivent leur dernière minute.

La cage s’immobilise.

Elle s’ébranle à nouveau, mais cette fois-ci, elle commence à s’élever. L’ascension est plus rapide que la descente. Bientôt, les prisonniers voient leurs vêtements dégouliner d’eau sale.

« Je suis désolée de te décevoir, Helmut, dit Zoé en prononçant bien le H, mais pour le rendez-vous au paradis, il va falloir attendre un peu. »

L’ascenseur est maintenant parvenu au sommet de sa course. Judith attend nos amis, le sourire aux lèvres et l’arme au poing. D’une balle, elle fait exploser le cadenas.

« Tu viens de nous sauver la vie, dit Lynda, mais je ne sais pas si je dois te remercier.

– Je ne crois pas, non. Tu viens de tomber entre les serres d’une effroyable harpie. Mais si tu as peur, je peux te renvoyer d’où tu viens. La mort que je te destine est bien plus cruelle que la noyade.

– Je n’ai jamais eu peur ni de ta mère ni de toi. Ce n’est pas maintenant que je vais commencer.

– Tant mieux ! Ma vengeance n’en sera que plus délicieuse. »

Retour à la case départ pour nos prisonniers, sans toucher les vingt mille, comme il se doit, mais dans sa grande gentillesse, Judith accorda à chacun une serviette éponge, afin de leur éviter la bronchite.

« Je tiens particulièrement à ce que vous mourriez en bonne santé, surtout toi, la grosse dinde mal farcie.

– Il y a longtemps que tu ne m’avais pas appelée comme ça. Je croyais que tu étais fâchée.

– Tu te souviens de la raclée que tu m’as collée au Palais des Congrès ?

– Oh oui !

– Moi je ne risque pas de l’oublier. Pour cela aussi tu vas payer. »

Puis Judith revient vers son amoureux amoché, condamné au régime Phosphatine jusqu’à nouvel ordre, qui commence seulement à sortir du cirage.

« Tu as de la chance pour tes articulations, mon chéri, la pintade est revenue vivante au poulailler. Maintenant, rassemble tout le monde dans la grotte, que le spectacle puisse commencer. »

Nous voici donc revenus dans la fameuse caverne aux parois infranchissables. Judith tient deux cordes dans une main et un fouet dans l’autre. Elle commence à lier le poignet de Lynda qui se laisse faire. Avec de savants nœuds de marin, elle est parvenue à immobiliser sa victime, les bras tendus, entre deux colonnes naturelles.

« Que vas-tu faire de tes prisonniers, Franck O’Marmatway ? Moi je sais très bien ce que je vais faire de la mienne.

– Fe n’est pas compliqué : ve les laiffe affister à ton Vudith show, et après ve les tue.

– Che n’ai plus peur te la mort, mais s’il fous plaît, laissez la fie à Zoé, ce n’est qu’un enfant. »

Judith ramasse son fouet et l’enroule autour du cou de la petite fille.

« C’est une très bonne idée. Et ce sera une belle vengeance, puisque les vingt milliards de la rançon vont nous passer sous le nez. Nous n’allons pas te tuer, mais nous allons te lâcher n’importe où dans le maquis. Le temps qu’on te retrouve et que tu nous dénonces à la police, nous aurons quitté l’Europe pour une destination inconnue. Quant à toi, nous t’aurons forcée à assister à la mort atroce que je réserve à ton amie. Tu es trop jeune pour pouvoir supporter une vision pareille. Tu seras traumatisée jusqu’à la fin de tes jours. Les psychologues ne pourront rien faire pour toi. Nous t’aurons détruit ta jeunesse et toute ton existence. Qu’en penses-tu, Franck O’Marmatway ?

– V’en penfe que tu es v’une diableffe. »

Judith brandit son fouet et le fait claquer au sol.

« Tu entends, ma jolie poularde, comme l’acoustique est bonne ici ? L’écho va amplifier tes hurlements, mais le plus drôle, c’est qu’à part nous, personne ne t’entendra. Tu pourras crier sans aucune retenue, et moi je rugirai de plaisir en entendant tes cris. »

Le fouet résonne à nouveau contre le sol. Judith est décidée à prolonger le plus longtemps possible le supplice de sa victime. Elle tourne autour d’elle, de plus en plus près, comme un vautour autour de sa proie. Le fouet martèle le roc à grand bruit. Puis elle pose une main sur l’épaule de Lynda et caresse son dos du bout du doigt.

« C’est tout de même dommage de déchiqueter une peau aussi douce. Enfin ! Que veux-tu ? C’est la vie. »

Elle approche sa bouche de l’oreille de sa prisonnière :

« Fais ta prière, ma cocotte, les réjouissances vont commencer.

– C’est fait. »

Voici quelle était la prière secrète de Lynda.

« Seigneur, tu sais que je suis heureuse de mourir pour toi, mais j’aurais tout de même préféré une balle dans la tempe. »

La réponse de Dieu descendit aussitôt dans son cœur :

« Ne crains rien, car je suis avec toi. »

« Es-tu prête ? »

Lynda répond par un chant :

« Quel ami fidèle et tendre,
Nous avons en Jésus-Christ,
Toujours prêt à nous entendre,
À répondre à notre cri !
Il connaît nos défaillances,
Nos chutes de chaque jour,
Sévère en ses exigences,
Il est riche en son amour.

– Chante, mon joli rossignol ! Je vais t’apprendre une autre mélodie, moi ! »

Ce beau cantique d’Émile Bonnard s’exécute à quatre voix. On peut y adjoindre un deuxième soprano qui répond au premier. Zoé, de sa voix cristalline d’enfant, en saisit la mélodie au vol.

« Quel ami fidèle et tendre,
Nous avons en Jésus-Christ,
Toujours prêt à nous comprendre,
Quand nous sommes en souci !
Disons-lui toutes nos craintes,
Ouvrons-lui tout notre cœur.
Bientôt ses paroles saintes
Nous rendront le vrai bonheur.

Quel ami fidèle et tendre,
Nous avons en Jésus-Christ,
Toujours prêt à nous défendre,
Quand nous presse l’ennemi !
Il nous suit dans la mêlée,
Nous entoure de ses bras,
Et c’est lui qui tient l’épée,
qui décide les combats.

Quel ami fidèle et tendre,
Nous avons en Jésus-Christ,
Toujours prêt à nous apprendre,
À vaincre en comptant sur lui !
S’il nous voit vrais et sincères
À chercher la sainteté,
Il écoute nos prières
Et nous met en liberté.

Quel ami fidèle et tendre,
Nous avons en Jésus-Christ,
Bientôt il viendra nous prendre
Pour être au ciel avec lui.
Suivons donc l’étroite voie,
En comptant sur son secours.
Bientôt nous aurons la joie
De vivre avec lui toujours. »

Judith frappa plusieurs fois dans ses mains. Zoé, Sigur, Félixérie, Elvire, Helmut et les mercenaires lui lancèrent une ovation. Seul Franck demeurait impassible.

La féroce amazone élève son bras. Le fouet tourbillonne et déchire l’air en un sifflement strident, puis s’abat sur le dos de Lynda. Un cri de douleur retentit.

Judith, tenant une extrémité de son fouet dans chaque main, promène autour d’elle des regards étonnés, puis elle brandit à nouveau son arme. Le cuir retentit. Un nouveau cri traverse la grotte. Il ne semble pas venir de la bouche de Lynda. La tortionnaire paraît déstabilisée.

« C’est peut-être un phénomène acoustique. »

Elle frappe une troisième fois.

« Ah ! Arrête, Vudith ! Arrête ! »

Cette fois, elle en est sûre. C’est bien Franck qui a crié. Elle lui sourit de ses plus jolies dents, puis elle prend son élan et frappe trois coups sur les épaules de Lynda, plus violents que les précédents.

« Arrête fa tout de fuite, Vudith ! Ve t’en fupplie ! F’est moi qui refois tous les coups.

– Et toi, ma poulette, tu ne sens rien ?

– Si, ça me chatouille. Continue, j’aime bien.

– Non ! Arrête ! Arrête ! Tu vas me tuer ! »

Judith décoche un sourire moqueur à son compagnon. La voilà qui brandit son fouet à deux mains et frappe de toute la force de ses bras, pendant plusieurs interminables secondes, elle enchaîne les coups avec une féroce rapidité. Le fouet secoue le corps de la victime, mais aucune plainte ne glisse entre ses dents. Pendant qu’elle frappe, elle rit d’un rire sonore et cruel. Franck Thanatos se roule à terre, bat son corps de ses mains. Il ne cesse de crier que pour reprendre son souffle.

Judith décide de s’accorder un moment de repos. Elle dépose au pied de son ennemie l’impitoyable cuir tressé. Elle fait quelques exercices pour détendre ses muscles endoloris par l’effort. Elle prend le menton de Lynda entre ses mains et lui adresse un regard mêlé de haine et de compassion.

« Tu tiens le coup ? Je te préviens, ce n’est pas fini.

– C’est à ton maître qu’il faut demander ça. »

L’implacable chanteuse de métal regarde son compagnon, terrassé, pleurant, face contre terre. Elle l’empoigne par les cheveux pour le mettre à genoux.

« Alors, grand monarque omniscient de l’univers. Quelle explication as-tu à me donner pour ce qui vient de se passer ?

– Voé me l’avait prophétivé : ve suis fâtié par la main de Dieu. »

Judith ramasse son fouet.

« La récréation est terminée.

– Non ! Vudith ! Non ! Pitié ! »

Un nouveau déluge de coups de fouet. Excitation de Judith, sérénité de Lynda, souffrance et rugissements de Thanatos, mutisme des mercenaires et de leurs prisonniers.

Les coups continuent à pleuvoir, non seulement sur le dos de la victime, mais aussi sur son ventre, sa poitrine, ses bras et ses jambes. Lynda se retrouve face à sa tortionnaire. Le fouet claque toujours, les cris ont cessé.

« Tu peux arrêter, maintenant, Judith Mac Affrin. »

Franck gît, privé de vie, sa chemise et son pantalon souillés de son sang.

La cruelle flagellation que Lynda vient de subir n’a pas laissé la moindre rougeur sur sa peau de soie.

Judith laisse tomber à terre le fouet rouge du sang de l’homme qu’il n’a pourtant pas effleuré. Elle se sent épuisée.

« Tu as encore gagné cette guerre, Lynda de Syldurie, je ne comprendrai jamais comment tu fonctionnes. »

Puis elle regarde le cadavre de Thanatos.

« En tout cas, nous voilà bien débarrassées de ce cuistre-là.

– Je croyais qu’il était ton maître et toi sa maîtresse.

– Tu parles d’une relation. J’espérais pouvoir me servir de lui, et c’est lui qui s’est bien servi de moi. »

Puis elle revient vers Lynda.

« Et toi, que vas-tu faire de moi ?

– Tant que mes mains sont liées, je ne risque pas de te faire grand-chose. »

Judith tire son poignard et commence à en couper les liens de sa prisonnière.

« C’est avec cette lame que j’ai poignardé Helmut à mort, simplement parce que l’autre guignol m’avait énervée, et ton Crucifié en a fait un homme tout neuf. »

Elle garde le silence, tandis que Lynda, libérée, frotte ses poignets ankylosés.

« Ce que tu as chanté avec Zoé… c’était si beau ! Je sais que je ne le mérite pas, mais pourriez-vous le refaire pour moi ? »

Lynda fait signe à Zoé de s’approcher. Elle pose la main sur son épaule. Elles chantent à nouveau :

« Quel ami fidèle et tendre,
Nous avons en Jésus-Christ,
Toujours prêt à nous comprendre,
Quand nous sommes en souci !
Disons-lui toutes nos craintes,
Ouvrons-lui tout notre cœur.
Bientôt ses paroles saintes
Nous rendront le vrai bonheur.

… »

Des larmes coulent sur le visage de Judith. Avant le dernier couplet, la guerrière vaincue tombe en sanglots le front contre le genou de Lynda.

« Pardonne-moi… pardon… pardon… »

Émue, elle aussi, la jeune reine interrompt son chant, l’aide à se relever et la serre dans ses bras.

La furie repentie ayant retrouvé sa sérénité, elle dit enfin :

« Il faut vraiment que tu m’apprennes ce cantique. J’en ferai une adaptation en pop-rap-rock métallique. Ce sera très beau.

– Le Seigneur ne t’en demande pas tant. »

 

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