Chapitre XV -
Mauvais quart d’heure pour le souteneur

La petite Fleur-de-Marie est rentrée dans son studio. Installée sur son vieux canapé, elle lit le Nouveau Testament que son Rodolphe lui a donné.

On frappe à sa porte, elle ne répond pas. On frappe plus fort.

« Frantsy, je sais que tu es là, ouvre, ou j’enfonce la porte.

– Pas la peine de t’énerver, mon bichou, c’est ouvert ; inutile de fatiguer tes petits muscles et de bousiller le matériel. »

Max entre.

« Alors ? »

Pour toute réponse, Frantsinitza jette sur la table une liasse de billets tirée de sa poche.

« Tiens ! Ce client-là, il m’a grassement payée, et il a oublié d’emporter la marchandise.

– Et après ?

– Après ? Plus rien.

– Rien ? Rien ne peut venir de rien. »

Max, qui vient de citer Shakespeare sans le savoir, aperçoit le Nouveau Testament sur le canapé. Il s’en saisit et commence à le feuilleter.

« Tu lis la Bible, toi, maintenant ?

– Et alors ? Ça te dérange ?

– Un peu, oui. Ce n’est pas dans ce genre de manuel que tu vas apprendre à faire des progrès dans ton métier.

– Ça tombe bien, je te donne ma démission.

– Tu plaisantes, j’espère.

– Pas du tout. Dès ce soir, je te rends mon tablier.

– Pourquoi ? Tu n’es pas bien avec moi ? Tu n’es pas assez payée, c’est ça ? Mais ma petite, je te donne dix pour cent de ce que tu rapportes, et je suis encore généreux. Alors, si tu veux gagner plus, tu n’as qu’à travailler mieux. C’est tout. Je suis sûr que tu caches de l’argent dans ta chasse d’eau. Je ne partirai pas d’ici tant que tu ne m’auras pas tout donné.

– Je ne veux plus jamais voir ta trombine. Disparais !

– Il semblerait, ma petite Frantsy d’amour, que tu n’as pas encore reçu la raclée de ta vie, et je suis en train de perdre patience.

– Tu as entendu ce qu’elle t’a dit ? Alors, tu lui rends son argent, tu lui présentes des excuses, et tu te casses ! »

Lynda vient de surgir de la salle de bains comme un diable d’une boîte.

« Qui c’est, cette morue ? »

Lynda lui assène le plus puissant direct de toute sa carrière sportive. Max s’écroule en hurlant sa douleur, le nez fracassé.

« Bien fait pour lui ! s’écrie Frantsinitza en frappant des mains.

– Cette morue, c’est la reine de Syldurie, pour ta gouverne. Allez debout ! »

Max, gémissant, tente vainement de se redresser, puis s’affale à nouveau. Lynda s’assied sur son ventre.

« On ne t’a jamais dit que tu avais un bidon très confortable ?

– J’ai mal. J’ai trop mal. Vous m’avez brisé la tête.

– Nous allons avoir une petite conversation, tous les deux.

– J’ai mal.

– Pour commencer, tu vas demander pardon à ma nouvelle amie, sinon, je vais commencer à regretter que tu n’aies qu’un seul nez.

– Pardon.

– Pardon qui ?

– Pardon, Frantsy.

– Pardon qui ?

– Pardon, mademoiselle Beranovka.

– C’est déjà mieux. Maintenant, je veux savoir pour qui tu travailles.

– Je n’ai pas de patron. Je suis à mon compte.

– Tu mens.

– Ne me frappez pas une deuxième fois. Ça fait trop mal.

– Alors, commence par me dire tout ce que tu sais sur le Vicomte.

– Le vicomte ?

– Vicomte ou baron. Celui qui a un nom en train de marchandises et un prénom d’empereur romain.

– Je ne vois pas de qui vous parlez.

– Mon poing gauche commence à être jaloux de son petit frère ; il n’a pas eu sa part.

– Catulle Hudebault-Cétancy.

– La question n’est pas là. Le nom du vicomte !

– C’est son nom, ou son pseudonyme : Catulle Hudebault-Cétancy. On l’appelle “le Marquis”.

– J’en étais pas loin, dit Frantsy, que la violence de la scène a rendue coite.

– Je ne sais pas grand-chose, mais je vais dire tout ce que je sais. Par pitié, promettez-moi de ne plus frapper.

– Je ne promets rien du tout. Je t’écoute.

– Tout a commencé à la fête des Chorchîles, à Ellezelles, c’est en Belgique.

– Félixérie m’en a dit deux mots. Qu’est-ce qui s’est passé à Ellezelles ?

– Je suis venu de Rotterdam, avec ma femme, pour voir le spectacle. Ce n’était pas une évocation historique, c’était du vrai ; une vraie nuit de sabbat. Ils nous ont battus, ils nous ont forcés à y participer.

– Qui ça, ils ?

– Un homme et une femme.

– Comment étaient-ils ?

– L’homme avait une allure ordinaire, mais il en a rossé des centaines à lui tout seul ; une force incroyable !

– Et la femme ?

– Une blonde, très blonde, avec de très longs cheveux.

– Bien, je crois que je les connais. Et le Marquis ?

– Justement, le Marquis, il était avec eux. C’était un vieux pépère et, par magie, elle lui a donné l’apparence d’un jeune homme. Il les suit comme leur chien.

– Et après ?

– Après, ils nous ont donné rendez-vous à La Louvière, dans un restaurant qui ressemble à une caserne. Ils nous ont menacés de terribles malédictions si nous ne venions pas. Nous sommes une centaine, nous serons bientôt des milliers. La Syldurie fait trembler le diable, alors le diable veut détruire la Syldurie. Nous nous infiltrons partout. Nous rongeons le pays de l’intérieur, comme des termites.

– Et comment vous y prendrez-vous pour détruire la Syldurie ?

– En pourrissant les fondations : la spiritualité, la moralité… nous avons commencé à nous infiltrer dans les églises pour y semer l’apostasie, miracles à l’appui. Nous distribuons de la drogue aux écoliers, nous prostituons les jeunes filles, surtout entre quatorze et seize ans, c’est à cet âge-là qu’elles sont le plus tendre.

– Répugnant personnage ! murmure-t-elle en crispant ses poings. Encore un mot ?

– Oui, un dernier : le Marquis, il sera bientôt roi de Syldurie. Considérez-vous déjà comme une reine déchue. Quand il vous aura détrôné, il vous fera enchaîner, et il vous offrira en cadeau à la belle femme blonde, et, croyez-moi, elle ne vous a pas à la bonne. Je serai vengé pour mon nez brisé.

– Aucun repentir ?

– Aucun. »

Lynda se relève :

« Qu’est-ce que je vais faire de toi ? J’hésite entre deux possibilités : soit j’appelle une ambulance, soit je te démolis la cage thoracique à coups de pied. »

Un silence mortel succède à cette terrible parole.

« Je ne sais vraiment pas quoi faire. »

Nouveau silence, nouvelle torture.

« Et toi, qu’est-ce que tu choisirais ? »

Max se met à pleurer.

« Et vous, mademoiselle Frantsinitza, qu’en pensez-vous ?

– J’en pense que si Jésus était à la place de Votre Majesté, il aurait imposé les mains à cette canaille et il l’aurait guéri.

– Vous avez parfaitement raison, mademoiselle Frantsinitza. J’appelle donc une ambulance. Après l’hôpital, le beau Maxou va passer par la case prison. »

 

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