Chaoitre XXIX - La Captive de la tour

« Allons ! dit Xanthia, on remonte à l’air libre.

– Et Judith ?

– Le service d’entretien viendra la ramasser, on l’incinère, on éparpille ses cendres, et bon vent.

– Et Thanatos ?

– Rassure-toi, ce crétin est toujours vivant. Il finira bien par se relever. C’est qu’il a la tête dure.

– Moins dure que mon poing, en tout cas.

– Allez ! Avance ! »

Le trio prit place dans l’ascenseur : Lynda, suivie de la mitraillette, elle-même suivie de Xanthia.

« Où est-ce qu’on va, comme ça ?

– Au niveau dix, tu vas retrouver un copain de longue date. »

 

Les portes s’ouvrirent, en effet, sur la nouvelle suite présidentielle. Toujours sous la menace du feu, Lynda fut introduite dans une vaste salle au milieu de laquelle on a déménagé le trône royal de Syldurie et sur lequel siège Dimitri.

« Mais ma parole, tu as calé tes flasques fesses sur mon trône ! Qui t’a donné la permission ?

– La permission ! Ça, c’est la meilleure ! Allez ! on ferme sa grand-ouais et on se prosterne devant le maître de l’univers. »

Lynda éclata de rire.

« J’aimerais voir sa tête, au maître de l’univers, quand il aura reçu ma main à travers la figure.

– Toujours aussi provocatrice. On ne fait pas le malin quand on a ce que tu as derrière ton dos. »

Xanthia la frappa de la crosse entre les épaules. Abasourdie, Lynda s’affaissa, le visage entre les genoux de Dimitri. Celui-ci l’empoigna par les cheveux, la releva et la frappa. Sous le choc, elle bascula en face de Xanthia qui la frappa à son tour. Elle se tenait les deux joues, mais continuait à défier Dimitri de son regard insolent.

« À genoux, vipère ! » hurle Dimitri. Lynda lui répond calmement :

« Tu as déjà vu les genoux d’une vipère, toi ? Bienvenue dans la ménagerie de Ponson du Terrail. »

En effet, l’auteur de Rocambole aurait écrit : « Sa main était froide comme celle d’un serpent. » Encore que personne ne sait dans quel chapitre.

« Je n’en peux plus de cette fille ! Enlève-la, Xanthia ! Qu’elle disparaisse de ma vue, sinon je fais un malheur ! Elle va me rendre fou.

– Aucun danger de ce côté-là, mon petit vieux. Tu l’es depuis longtemps.

– Allez ! Conduis-la où tu sais. Au fait, j’ai une bonne nouvelle pour toi, ma cocotte : la prison d’État a été transférée aux niveaux cinq, six et sept. Et j’ai réservé tout un étage pour tes copains et pour toi. J’y ai mis aussi ton bonhomme et tes deux mioches, tu seras moins seule.

– C’est généreux.

– D’autre part, j’ai de fins limiers dans ma P.P.…

– Ta pépé ?

– Police Plogrovienne. Huppim et Schuppim ont réussi à trouver le terrier où se cache ta secte. Les adeptes vont bientôt te rejoindre. Ce n’est pas la place qui manque. Il suffit d’affecter cinq ou six niveaux de plus à la prison. Encore un détail : comme tu l’as très bien compris, le maître des ténèbres est devenu propriétaire de toutes les âmes qui habitent ma tour. Tu peux donc dire adieu à ta petite place au paradis. Tu ne quitteras cette tour que pour descendre en enfer.

– Dans ce cas, nous y passerons l’éternité ensemble, et le mot enfer va prendre toute sa signification en ce qui te concerne.

– Ah ! oui ! J’allais oublier ! Bien que tu sois une indomptable tigresse, j’ai réussi à te mettre en cage, et pour te prouver que je t’ai complètement maîtrisée, et puisque je n’ai plus à craindre la jalousie de Judith, j’ai décidé de t’épouser.

– Quoi ?

– Et je ne m’abaisserai pas à demander ta main. Tu me la donneras de plein gré ou je la prendrai de force.

– Je suis déjà mariée et mère de famille, je te rappelle.

– Et alors ? La polygamie est autorisée en Syldurie, je te rappelle aussi.

– N’as-tu jamais entendu parler de Xanthippe ?

– Xanthia, je connais. Ce n’est pas la même ?

– Non, celle-là, c’était la femme d’Aristote. Tout d’abord, elle n’était pas gâtée au niveau de son prénom : ça veut dire “cheval jaune”.

– Je ne vois pas le rapport.

– Quand tu m’auras forcée à t’épouser, tu le verras, le rapport.

– Bon ! ça va ! tu me fatigues. Xanthippe ! euh… Xanthia, conduis-moi cette chipie dans sa suite impériale. »

La suite impériale de Lynda ! Disons plutôt un immense loft cloisonné en un certain nombre de compartiments. L’un d’eux est réservé à sa petite famille. Finalement, c’est plutôt spacieux et confortable pour une prison. L’absence de porte facilite la communication avec les autres prisonniers : Wladimir, Périklès, Félix et leurs familles, plusieurs membres de l’église, Sigur, sans oublier Igor, le jeune homme à la banane.

« N’espère pas t’évader, dit Xanthia, ici les murs ont des yeux ».

Lynda, bien que captive, était heureuse de retrouver enfin tous ses amis, et de pouvoir enfin serrer Julien, David et Léa dans ses bras et contre son cœur.

Elle désirait parler à Périklès. Une question d’ordre spirituelle l’inquiétait vivement.

« Quel est ton avis sur la dernière menace de Dimitri ?

– Tu n’es pas du genre à te laisser impressionner par ses menaces.

– Quand il me dit que nous perdons notre âme en pénétrant dans sa tour, ça m’affole tout de même un peu. »

Le pasteur répondit par un sourire.

« Mon petit, n’as-tu pas lu que tu as reçu la vie éternelle, que tu ne mourras jamais et que personne ne te ravira de la main du Seigneur ?[1] Nous n’avons rien à craindre. Mais je n’en dirais pas autant de ceux qui sont entrés, de gré ou de force, sans avoir accepté le salut divin. »

Le sourire presque moqueur de son berger humain avait dissipé toutes les craintes de Lynda. Avait-elle oublié que son berger divin l’avait déjà arrachée aux mâchoires du loup.

Lynda et ses amis ne s’étaient pas ennuyés dans leur nouvelle prison. Ils avaient tant de choses à se raconter !

Le soir tombant, elle avait retrouvé la compagnie presque intime de son foyer.

« As-tu remarqué ce drôle de papier peint ? »

En effet, ce n’est pas du papier, ni de la toile, ni de la peinture. C’est souple, agréable au toucher, il y croît une sorte de duvet blond.

« On dirait de la peau humaine. »

Maintenant il faisait nuit. Tous les feux étaient éteints. Julien cherchait le sommeil, la tête contre la poitrine de Lynda.

« C’est ton cœur qui bat aussi fort ?

– Mon cœur bat comme d’habitude. »

Des pulsations régulières et lancinantes troublaient le silence de la nuit.

« On dirait que cela vient du mur. »

Julien alluma le plafonnier. Il colla son oreille contre la paroi.

« Il y a des artères qui palpitent et des poumons qui respirent dans la brique.

– C’est véritablement la maison du diable. Heureusement que nous sommes à Jésus-Christ. »

Un moustique vint se poser sur la cloison. Lynda le tua du plat de la main. Une sourde plainte, montant de l’abysse des fondations, parvint jusqu’à la chambre et s’éleva vers le sommet.

« Cette matière est vivante, et tu lui as fait mal. »

 

[1] Jean 10.28

 

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