IV

C’est la lutte finale. Le bon roi Laverdure a décidé de mettre une fois pour toutes sous sa botte les rebelles de Dntsk et de Lgnsk qui, comble d’injure à sa royauté, s’étaient proclamées républiques indépendantes et libres. C’est surtout le mot « libre » qui déplaisait fortement au tyran. Voulant à tout prix gagner la guerre, il s’allia avec son meilleur ami Bouledevent afin de s’assurer la victoire. Le lecteur aura compris que si l’on ne voit pas d’adultes parmi ces combattants, c’est parce que l’Ours Michka représente, à lui seul, tout un peuple luttant aux côtés de Macha et de ses amis.

Accompagnés de Michka, un millier d’enfants armés de frondes font face à un char de combat piloté par Laverdure dont le casque lourd dépasse de la tourelle. Un char tout neuf, offert non par le roi, mais par le peuple de Séquanie qui ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants de cette guerre, mais qui payait des impôts. Une légion de soldats l’entourait.

« Qui est le chef de cette bande de garnements ? crie-t-il.

– C’est moi, répondit Macha.

– Le contraire m’eut étonné. Toujours dans mes jambes ! Rends-toi immédiatement, si tu ne veux pas que je me serve un hachis de Macha pour dîner.

– Descends de ton char, imbécile, avant qu’il te pète à la figure. »

Laverdure éclata de rire, mais son rire se figea brusquement à la réflexion d’un militaire.

« Cette peste est capable de tout, Sire, à votre place...

– Vous avez raison, lieutenant, prenez-la, ma place, ce sera moins dangereux pour moi. »

« Feu ! »

Le redoutable engin de guerre explosa dans une énorme boule de feu, offrant un baptême de l’air au malheureux artilleur qui avait perdu une belle occasion de se taire.

Les enfants déchaînés se ruèrent sur les assaillants épouvantés qui s’enfuirent dans le plus grand désordre.

« Rattrapez-moi ces deux phénomènes, ordonna Macha. Ils me veulent morte ou vive, mais je les veux vivants. »

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Que s’était-il passé avec ce tank ? C’est très simple : les soldats qui veillaient de nuit sur l’engin ont pris la fuite en voyant arriver Michka, portant un gros sac de ciment sur chaque épaule. Puis l’Ours, aussi agile et aussi gracieux sur le canon qu’une gymnaste sur une poutre, parvint non sans peine à y introduire le contenu des deux sacs. Ensuite, il alla puiser de l’eau à la rivière proche et la versa dans le cylindre creux pour solidifier l’ensmble. C’est la méthode Lucky Luke à grande échelle.

On ne mit pas longtemps à ramener prisonniers les rois Bouledevent et Laverdure. Que le lecteur se rassure : il n’a pas été nécessaire de leur griller les doigts de pied pour leur faire passer aux aveux. Il aura suffi que Michka montrât sa tête de cochon... pardon ! sa tête d’ours pour que les cheveux s’horripilassent et que les langues se déliassent. Nos deux larrons révélèrent, sans se faire prier davantage, l’endroit où les enfants de Lgnsk, enchaînés par les chevilles, étaient retenus comme esclaves. On organisa pour leur libération une fête, sans alcool, comme il se doit, à laquelle les deux rois déchus furent conviés. Vers la fin de la soirée, Macha prit la parole :

« À quoi nous servirait-il de pendre ou de décapiter ces deux énergumènes, bien qu’ils l’aient mérité. Laissez partir le roi de Séquanie. Qu’il retourne chez lui ! Il ira planter des carottes, puisqu’il n’est pas capable de gouverner un pays. »

On applaudit la jeune fille et libéra le ci-devant roi Bouledevent qui partit sous les huées.

« Que vas-tu faire de moi ? dit le roi restant, baissant la tête.

– J’ai décidé d’être clémente. Je te rends donc la liberté à toi aussi. Et tâche d’apprendre tes tables de multiplication, si je te retrouve à traîner dans les parages, c’est l’interrogation écrite. »

Le roi déchu, tout penaud, se dirige vers la porte. Silence dans l’assistance.

« Ne t’en va pas tout de suite. Il me reste un dernier point à régler. »

Macha enfila une paire de gants de boxe et lui servit une consistante correction. À mesure qu’il encaissait, Laverdure pleurait et appelait sa mère. Quand il fut totalement aplati, Kolia et Oleg, qui n’avaient pas quitté leur amie depuis le début du conflit, le saisirent chacun par une cheville et le traînèrent dehors.

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Comme un cauchemar que l’on n’oublie pas, la guerre, ses souffrances et ses atrocités, ont pris fin. Le pays soigne ses plaies. À Dntsk comme à Lgnsk, on reconstruit sur les ruines : extincta revivisco[1].

On reconstruisit l’école et les enfants appliqués reprirent l’étude des tables de multiplication, ainsi que l’orthographe, la grammaire, les déclinaisons, les voyelles dures et les voyelles molles, les accents toniques qui vadrouillent n’importe où, le perfectif et l’imperfectif et toutes les réjouissances qu’apporte la langue russe.

Macha rendait régulièrement visite à son ami Michka qui avait retrouvé sa vie forestière et paisible. Un jour, elle le trouva tenant un agneau sur ses genoux.

« Je te présente ton nouvel ami.

– Qu’il est mignon ! dit-elle en le prenant dans ses bras et lui caressant la laine.

– L’Ours est un animal guerrier, dit l’Agneau, mais moi, je suis celui qui procure la paix. Si tous les hommes voulaient me prêter leur attention, il n’y aurait plus que de l’amour sur la terre. »

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[1] « Je renais de mes cendres. » Devise de Châteaudun, qui fut plusieurs fois incendiée et reconstruite.