Chapitre XII - Une couronne pour une souillonne

Équipés d’un plan griffonné à la hâte, protégés par une cotte de maille, armés du courage coutumier aux soldats du roi et d’une diplomatie qui le leur est beaucoup moins, ceux-ci parvinrent à convaincre la jeune sauvageonne de les suivre jusqu’au palais royal.

« Je me demande vraiment ce que le roi lui trouve, dit le caporal au capitaine.

– L’as-tu bien regardée ? répondit le capitaine au caporal. Avant d’être purifié et taillé, un diamant n’est qu’une pierre difforme et dépourvue d’éclat. Le roi voit en elle un diamant, alors que toi, tu n’y vois qu’un caillou. »

On introduisit Éliséa au château sans pompe ni honneur, par une petite porte dérobée, réservée à la valetaille, puis elle fut livrée entre les mains de femmes qui l’astiquèrent énergiquement du haut jusqu’en bas.

Pendant ces longues heures, le roi usait d’une empreinte circulaire le tapis étalé devant son trône. Une servante, portant sur la paupière inférieure droite une marque bleu marine qu’Axel prit d’abord pour un maquillage désordonné, entra dans sa présence avec la révérence de mise.

« Est-elle prête ? demanda le roi.

– Elle est prête, et ce fut un événement sportif de haut niveau. On aurait dû louer le stade et faire payer les gens. Quand nous l’avons plongée dans la baignoire, elle a cru que nous voulions l’y noyer. Elle s’est débattue comme une tigresse, elle a mordu ma collègue et m’a expédié un coup de poing dont vous pouvez constater les effets sur ma physionomie.

– Alors, qu’elle entre ! »

Les deux battants de la porte s’ouvrirent. Un garde en uniforme rouge annonça, solennel :

« Son Altesse la princesse Éliséa d’Engartot. »

De vagabonde à princesse, Éliséa avait gravi en deux ou trois heures tous les échelons de l’échelle sociale. Elle apparaît, marchant à pas lents, aucun des courtisans ne dit mot, le roi retient son souffle. Elle est admirable dans sa longue robe bleu turquoise, en harmonie avec ses beaux yeux discrètement maquillés. Sa robe épouse les contours de sa taille tout en recouvrant ses jambes et ses pieds, un voile transparent laisse apparaître la grâce de ses épaules et de ses bras. Deux nattes tressées avec soin encadrent sa chevelure, cascade rousse dévalant jusqu’à ses reins.

« Je regrette infiniment de vous avoir frappée, dit-elle à la servante à l’œil marqué. Je vous demande pardon.

– Ce n’est rien, » répondit l’interpellée.

Axel se leva, descendit les marches de son trône. Il la saisit dans ses bras – la princesse, pas la servante – et, plaçant sa main droite derrière la tête soyeuse d’Éliséa, appliqua ses lèvres contre les siennes en un baiser cinématographique. Le visage d’Éliséa avait pris la couleur de ses cheveux. Puis elle s’agenouilla devant le roi. Un majordome remit entre les mains d’Axel une couronne d’or, sertie d’émeraudes, de diamants et de rubis, qu’il posa sur le front de la jeune fille, ensuite, il l’enveloppa d’un long manteau d’hermine, puis il la prit par la main pour la relever, et la fit se tourner vers les témoins.

« Séquanie, proclama-t-il, voici ta reine. »

Tout le monde applaudit sans réserve durant plusieurs minutes. Tout le monde sauf Sabriana. Personne, d’ailleurs, ne prêta attention à son attitude. Elle quitta l’assemblée, furieuse. Quand elle en fut assez éloignée pour ne pas être entendue, elle poussa un cri :

« Elle est plus belle que moi ! »

Puis elle se dirigea d’un pas précipité vers le veau d’or. D’habitude, elle s’agenouille devant l’idole, mais aujourd’hui, elle n’est pas d’humeur. Elle reste debout.

« Ne t’ai-je pas toujours servi avec le plus grand zèle ? Ne t’ai-je pas toujours adoré ? N’ai-je pas toujours proclamé que tu es le seul vrai dieu ? Ne t’ai-je pas sacrifié des taureaux et des béliers ? N’as-tu pas apprécié mes onctions d’huile et de vin, et du Château Pommargaux, s’il vous plaît ! Sans compter le temps que j’ai passé à me coiffer, à me pommader, à me maquiller, à me parfumer pour paraître belle devant toi. Pourquoi m’as-tu fait ça ? C’est moi qui devais être reine à la place de cette… de cette petite… et je devais demeurer la plus belle. C’est pour cela que je te sers. Et maintenant, tu me préfères cette va-nu-pieds, plus bête que femme, qu’on est allée chercher au fond des bois. Enfin ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? »

Sabriana se tait enfin. L’idole reste muette.

« Il me semble que je t’ai posé une question, je suis en droit d’attendre une réponse. »

Un flux glacial parcourut tout son corps, puis la statue se mit à vibrer en un bourdonnement inquiétant. Le disque d’or, enfin, se colora, faisant apparaître la nouvelle reine. Elle lui lançait un tel regard que la princesse en colère dut détourner les yeux. De sous son manteau royal, elle tira son arc et ses flèches, puis décocha un trait en sa direction.

« Es-tu en train de me dire que cette chipie va me tuer ? »

L’idole ne répondit rien.

Sabriana passa sa mauvaise humeur en faisant flageller trois servantes qui n’avaient pourtant pas démérité.

 

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