Chapitre XXX - Adieu, Sabriana

Le calme est revenu sur la plaine d’Engartot. La tente de commandement de la reine sera bientôt démontée, mais pour l’instant, les deux cousins déjeunent tranquillement. Le corps de la princesse vaincue est étendu sur le lit royal, les mains croisées sur le ventre.

Le narrateur a-t-il des hallucinations ? Il semble que les mains de la morte ont bougé et que ses yeux se sont entrouverts. Serait-elle moins morte qu’elle en a l’air ?

En effet, Sabriana se redresse avec peine, gémissant :

« J’ai un de ces maux de tête, moi. »

« Elle doit avoir faim, dit Maurice. Assieds-toi à table, nous t’avons gardé un petit morceau.

– Je n’ai pas faim, j’ai terriblement mal à la tête. Cette flèche m’a traversé la cervelle de part en part.

– Si ma flèche t’avait transpercé le sac à neurones, tu n’aurais plus mal nulle part. »

Comment donc expliquer qu’après ce trait si bien ajusté, la princesse Sabriana se retrouve allongée sous cette tente, affligée d’une migraine carabinée ?

Revenons à la clairière du Sanglier, là où nous avions laissé nos deux amies.

Du côté des hommes, la bataille fut remportée sans le moindre trait, sans le moindre jet de lance, sans le moindre coup d’épée. Pas une seule goutte de sang n’a été versée. Ah ! si toutes les guerres pouvaient se dérouler ainsi ! Saisis d’un surnaturel esprit de panique, les ennemis de Maurice se sont dispersés comme une volée de moineaux. Resté seul avec sa petite poignée de soldats, il décida de chevaucher à la recherche de la reine et ne tarda point à la rejoindre là où il s’attendait à la trouver, l’arc débandé en main, le pied sur le ventre de son ennemie.

« C’est gentil de venir en renfort, mais la bataille est finie. Aide-moi à hisser cette chipie sur mon cheval, elle est lourde pour mes petits bras. »

C’est ainsi que nous retrouvons réunis sous la toile la reine, le menuisier, récemment nommé Premier ministre et la princesse, toujours gémissante.

« Je comprends qu’elle souffre, soupire Éliséa. »

Elle verse dans le creux de sa main une huile parfumée dont elle frictionne le front de la victime, un front pitoyable, noir et bleu, déformé par la violence du coup reçu.

« Est-ce que ça va mieux ?

– Oui, merci, j’ai moins mal. Comment se fait-il que je sois encore vivante ? »

Pour toute réponse, Éliséa lui montra la flèche qui l’avait atteinte.

« Je comprends mieux. »

En effet, la flèche qui avait frappé Sabriana n’était pas une flèche ordinaire : en place de la pointe meurtrière, une petite sphère de bois garnissait l’extrémité du trait. Arme conçue pour assommer sans tuer.

« Pourquoi m’as-tu épargnée ?

– Tu as tenté de m’empoisonner, tu as jeté un serpent dans mon bain, pour couronner ta carrière de traîtresse, tu t’es jetée dans le lit du roi, en l’occurrence mon mari.

– Pour ce que j’y ai gagné !

– Ce n’est pas une raison. J’avais une belle occasion de me venger, mais mon Dieu m’a dit : ne vous vengez pas vous-même et ne rendez pas le mal pour le mal. J’en ai donc décidé ainsi : nous rentrons à Séquania et tu seras jugée en présence du roi. Il en sera de même pour ton beau prince Wilbur.

– Celui-là, tu peux le faire pendre ou écarteler, ça m’est bien égal. »

On laissa à la prisonnière le temps de se requinquer puis, une fois le camp de guerre totalement démonté, les trois cavaliers se mirent en route vers la capitale, la princesse déchue ayant les mains liées derrière le dos.

Voici maintenant le jour du jugement.

« Quelle peine mérite-t-elle ? demande Axel.

– Elle mérite d’être pendue à la même potence que Wilbur. »

Sabriana éclate en sanglots, Axel se frotte le menton d’un air sérieux.

« Sans doute, elle le mérite. Ce qui m’ennuie c’est qu’elle est la fille du roi de Courlandie. Son paternel ne nous laissera pas l’exécuter sans rien dire. Il nous déclarera la guerre, ainsi que nous en avons déjà parlé, et je ne veux pas que du sang soit versé à cause de cette harpie. Des innocents mourraient. Il m’a été suffisamment pénible de signer ces malencontreux décrets. Je désire la paix.

– Alors il nous reste une alternative : le pardon. C’est ce que me demande le Dieu unique et c’est la principale raison pour laquelle je l’ai épargnée dans la clairière. Je te pardonne donc, Sabriana.

– Tu me pardonnes ! réplique celle-ci. J’espère que tu plaisantes.

– Je ne trouve pas la farce très drôle.

– Je préfère mourir plutôt qu’être pardonnée par toi.

– Tu n’as pas le choix, mais j’ai beau pardonner à un serpent de m’avoir mordue, il n’en demeure pas moins serpent. Pour rien au monde, je ne le mettrai dans mon lit. Alors, rassemble tes affaires et retourne chez ton père avant qu’il me vienne une autre idée. »

 

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