Chapitre XI - Une volontaire pour épouser Axel

Vous savez maintenant comment la pauvre Éliséa s’est installée dans sa confortable résidence de la forêt d’Engartot.

Poursuivons notre histoire.

Le roi Philémon est mort, vive le roi Axel ! Pompeuses funérailles, pompeuse cérémonie de couronnement. Le trône de Séquanie ne reste pas longtemps inoccupé et la vie reprend son cours dans ce vieux royaume avec son jeune roi.

Tandis qu’à la table d’Axel, on fête la prise de pouvoir avec force poisson, gibier, champagne et foie gras, au menu du prince Wilbur et de la princesse Sabriana, c’est plutôt la soupe à la grimace.

« Et pourrait-on, savoir, ma biche adorable, en quel honneur tu tires encore une figure à piétiner ta lèvre inférieure ?

– Tu me demandes pourquoi je fais la tête ! Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre. Si ce grand dadais d’Axel avait accepté de m’épouser, je serais reine à la minute de l’heure du jour d’aujourd’hui.

– Oui, mais si tu avais épousé ce grand dadais, j’étais marron comme… comme… comme un marron, et je restais marquis palefrenier jusqu’à ce que mort s’ensuive.

– Moi j’y perds une couronne tandis que toi, pour un garçon d’écurie, tu ne t’en tires pas trop mal.

– Et comment ! Le roi m’a promis de me nommer Premier ministre. C’est moi l’homme le plus important du pays, le roi parade sur son trône, mais moi, le prince Wilbur, je détiens le véritable pouvoir entre mes mains, les ducs et les manants se prosterneront devant moi, car j’en ai ainsi décidé, et toi, qui es déjà la plus belle femme de Séquanie, tu seras aussi la plus puissante, parce que tu m’appartiens. »

Sabriana soupira.

« C’est vrai que, depuis que le feu roi Philémon – que Dieu ait son âme – t’a nommé prince afin de me coller sur son blason, tu ne te prends pas pour une petite fiente de moineau.

– Il suffit ! On ne parle pas ainsi à son mari, qui est à la fois ton seigneur et ton maître, celui que tu dois vénérer le plus après Dieu, toute fille du roi de Courlandie que tu sois. »

Nouveau soupir de la princesse et long silence.

« Et d’ailleurs, de quoi te plains-tu ? Le roi Ladislas n’est pas immortel. Un peu de patience ! Tu finiras par devenir reine, et moi, tout en tenant la Séquanie d’une main de fer, je serai ton prince consort, et les deux pays ramperont sous nos pieds.

– Mon père jouit d’une excellente santé. Il va régner encore au moins quarante ans, et c’est une vieille mémère décatie qui montera sur le trône.

– À moins de soudoyer son barbier pour qu’il commette une petite maladresse. »

Sitôt sorti de table et sans prendre le temps de digérer, le prince Wilbur s’adonne à son sport favori, lequel consiste à couvrir son souverain de cajoleries, de caresses et de flatteries, des « Votre Majesté » par-ci, des « Votre Majesté » par-là, des « C’est trop d’honneur, Majesté »…

Et ce matin-là, notre flagorneur-en-chef tenait l’inspiration :

« Ô Très-Gracieuse Majesté, Seigneur des seigneurs et Flambeau de l’univers, que Votre ineffable lumière, semblable à celle du soleil, illumine Votre peuple d’éternité en éternité.

– Par pitié, Wilbur, mets un point d’orgue à toutes tes révérences et dis-moi tout de go où tu veux en venir.

– Je suis venu pour te dire, mon petit Axel, qu’il est temps que tu penses à te marier.

– Me marier ? Mais quand j’en aurai envie. Il n’y a pas le feu au canal.

– Moi je trouve qu’il y a le feu. Pour sauvegarder ta dynastie, il faut un héritier, et pour faire un héritier, il faut une reine.

– Je suis à peine monté sur le trône que tu penses déjà à m’en faire descendre pour y mettre quelqu’un d’autre.

– Ne le prends pas mal. Je dis simplement qu’on ne sait pas ce qui peut arriver, une guerre, un tremblement de terre, et plus de roi… Au diable la procrastination ! Au plus tôt tu seras marié…

– D’accord, d’accord, soupira le roi, j’épouserai donc ! Mais qui ? As-tu seulement une idée ?

– Que penses-tu de la marquise Élodie d’Ascalie ?

– Cette jeune écervelée ? Tu plaisantes ! Il faut quelqu’un de sérieux pour diriger un royaume.

– Une femme sérieuse ? Voyons… Mais oui ! La duchesse Dorimène de la Planche-Grippiette !

– Non ! Cette vieille bêcheuse ! Mais tu veux me faire mourir d’ennui ?

– Elmire de la Tronche-Bobine ?

– Trop grosse.

– Euphrasie de la Roche-Baguette ?

– Trop maigre.

– Éloïse de la Patafoin ?

– Trop petite.

– Mirande de la Fonche-Grenouille ?

– Trop grande.

– Ma foi, si aucune des gentes dames de la cour, ne convient à Votre Très-Gracieuse Majesté, l’humble serviteur et conseiller que je suis se permet de proposer à Votre Très-Gracieuse Majesté de choisir sa reine parmi les jeunes filles du peuple, en espérant que Votre Très-Gracieuse Majesté en trouvera une à Son goût.

– C’est une idée à travailler, prince Wilbur, et je vous suis reconnaissant de me l’avoir suggérée. Vous pouvez disposer. »

Le prince claqua les talons le plus militairement du monde et, après un demi-tour réglementaire, se retira de la présence royale. Demeuré seul, le roi se mit à réfléchir puis il se verrouilla dans son bureau. Il rédigea un décret qu’il signa de son sceau. Ordre fut donné de diffuser l’annonce par tout le pays.

Voici ce que disait l’oukase royal :

« Avis à la population,

Sa Majesté le roi Axel a l’honneur et le plaisir d’informer son peuple qu’un poste de reine est à pourvoir en contrat à durée indéterminée.

Ce recrutement est ouvert à toutes les jeunes filles du royaume.

Les candidates devront être célibataires au premier degré, avoir entre dix-huit et vingt-deux ans, peser entre cinquante et cent vingt kilogrammes, et mesurer entre un mètre cinquante et deux mètres vingt.

Qu’on se le dise. »

« Qu’est-ce que Votre Majesté entend exactement par célibataire au premier degré ? interrogea le prince Wilbur.

– Eh bien… Qu’elle soit… Qu’elle ne soit pas… Qu’elle n’ait pas fait… »

Le jour des éliminatoires est venu. Quelques centaines de candidates, réunies dans le gymnase royal, tirent un numéro dans un panier et attendent patiemment leur tour.

La première désignée par le sort se présente devant le roi. Celui-ci, de surprise et d’admiration, manqua de tomber de son trône.

« Euh ! Comment vous appelez-vous ?

– Aurélie. »

C’est vraiment une jolie fille, Aurélie : blonde aux cheveux bouclés, elle a les yeux d’un bleu profond comme la Méditerranée, un beau visage aux traits arrondis, de belles dents blanches et bien alignées. Elle a de jolies épaules, de jolis bras, de jolies mains aux longs doigts ornés chacun d’une pierre différente, elle a aussi de jolies jambes et de jolis pieds. Le seul détail qui ennuie Axel, c’est qu’elle pèse bien ses cent vingt kilos pour deux mètres vingt. Sa main, si jolie soit-elle, est assez grande pour couvrir totalement le visage du roi.

« Mais d’où est-ce que ça sort ? se dit ce dernier, je vois d’ici nos scènes de ménage ! Sans compter qu’au lit avec un engin pareil, ça doit prendre toute la place. »

« Je vous remercie, mademoiselle, on vous écrira. La suivante. »

La suivante est une belle brune de type asiatique, Aurélie aurait pu la soulever entre son pouce et son index.

« Comment vous appelez-vous ?

– Li.

– Au moins, ce sera facile à graver. »

La pauvre fille s’efforça de rire de cette boutade, puis fut invitée cordialement à se retirer.

« Si celle-ci devient reine, pensait Axel, on me croira marié à une écolière. Sur le plan des mensurations, j’aurais tout de même dû prévoir une fourchette un peu plus serrée. »

Il aura fallu presque un mois pour opérer le premier tri. Le pauvre roi n’en pouvait plus. Il restait vingt candidates dans l’arène. On ne leur demandait plus seulement d’être belles, elles devaient démontrer leur savoir-faire. Les unes dansaient devant le roi, les autres chantaient des airs d’opéra, ou bien lui jouaient, qui de la viole de bras, qui de la viole de gambe. Censées divertir le royal prétendant, elles l’ennuyaient mortellement. L’une d’elles lui offrit un gâteau aux amandes et aux noix dont il faillit s’étouffer.

« Suivante, murmura le roi Axel, d’une voix endormie.

– Il n’y en a plus. »

Axel s’assoupit sur son trône. Sommeil agité, il voyait la géante lui jouer de la guimbarde, la naine lui jouait de la trompette marine qui est, comme chacun sait, une sorte de contrebasse monocorde. Une superbe Africaine lui faisait avaler de force un énorme gâteau à consistance de ciment.

Il se réveilla en suffoquant, puis il se leva, et fit mander le chef de la garde, après une brève génuflexion devant le veau.

« Allez me chercher Éliséa.

– À vos ordres majesté.

– Et avant de me l’amener, j’exige qu’on lui fasse prendre un bain. Allez-y ! »

Le militaire s’apprête à sortir.

« Ah oui ! Juste un détail, capitaine, tâchez de vous conduire envers elle avec politesse, douceur et courtoisie, si vous ne tenez pas à ce qu’une flèche bien aiguisée aille se planter au beau milieu de vos boyaux. »

 

La suite