Un écolier frustré

Cette histoire est publiée en réponse au défi d’écriture organisé par plumeschrétiennes.com

 

C’est injuste ! Ce n’est pas normal ! Ça ne se passera pas comme ça !

Oui, je suis en colère. C’est toujours la même chose et y-en a marre !

C’est vrai, à la fin ! Notre vieil instituteur, monsieur Leblanc est peut-être sévère, mais au moins il est juste. Quand il me colle une punition, c’est que je l’ai méritée. Malheureusement, il collectionne les arrêts maladie et chaque fois qu’il est absent, c’est une jeune qui le remplace : mademoiselle Rinderbacher. Quel drôle de nom ! On ne sait même pas s’il faut prononcer « bachère », ou « baché », ou « bakère ». C’est un continuel débat. Papa dit qu’elle est alsacienne et que c’est pour ça qu’elle porte un nom bizarre. Et moi, dans ma petite tête d’écolier, je l’imagine, en classe, avec un grand chapeau en forme de papillon, comme sur les paquets de biscuits « L’Alsacienne ».

Mademoiselle Rinderbacher (prononcez comme vous voudrez), elle n’a pas d’autorité. Elle a beau nous crier dessus à longueur de journée, tout ce qu’elle y gagne, c’est une extinction de voix le vendredi après-midi. Elle ne nous fait même pas peur. Alors les copains, ils en profitent, bon, d’accord, peut-être un peu trop. Mais pas moi, j’aime le calme, je ne dis jamais rien, je ne fais pas de bruit, je suis toujours sage (« comme une image » disait Mamie).

Quand on l’agace un peu trop, elle nous lâche un « bonté divine ! » C’est son mot.

Et ce lundi, les camarades (mais pas moi), ils étaient infernals. Euh… non, pardon, infernaux. Et dès qu’elle nous tourne le dos pour écrire au tableau noir (il est vert, mais on dit noir par habitude), c’est la foire. Tout le monde parle en même temps, les gommes volent à travers la classe qui s’est transformée en aéroport, les avions de papier décollent et atterrissent ; on se croirait à Orly. Et justement, l’un de ces éphémères aéroplanes est venu se planter en plein dans le chignon de mademoiselle Rinderbacher qui se retourne, pas contente du tout qu’elle était.

« Ça suffit, maintenant ! Bonté divine ! »

Et elle frappe son bureau d’un retentissant coup de règle, proportionné à sa colère. Houlà ! Comme je n’aurais pas aimé me la prendre sur les doigts, cette règle !

« Qui a fait ça ?

– C’est Lambert, m’zelle.

– C’est même pas vrai !

– Parfait ! Je donne une minute au coupable pour se dénoncer, après quoi les sanctions pourraient pleuvoir. »

Minute de silence ; on se serait cru au monument aux morts, le onze novembre.

« Bien ! Puisque personne n’est capable d’assumer sa responsabilité, vous me ferez cent lignes pour demain : “Je ne dois pas chahuter quand la maîtresse écrit au tableau”.

– Moi aussi ?

– Tout le monde.

– Celle-là, c’est la meilleure !

– Et on se tait. »

J’avais envie de pleurer. C’est tout de même un peu fort ! À quoi ça me sert, je vous le demande, de ramener tous les mois un dix de conduite sur mon livret scolaire ? Si je me conduis mal, je suis puni, si je me conduis bien, je suis puni aussi. Alors, puisque c’est comme ça, à partir de maintenant, je ferai l’imbécile dans la classe comme les autres, au moins, je serai puni pour quelque chose.

Et je rentre à la maison tout fulminant.

« Qu’est-ce qui ne va pas, mon chéri ?

– Eh bien ! Elle m’a donné cent lignes alors que je n’ai rien fait. Voilà ce qui ne va pas. C’est pas juste !

– En effet, c’est injuste. »

Maman resta un moment silencieuse, comme pour se donner le temps de réfléchir, puis elle ajouta.

« Tu sais, il y a beaucoup d’injustices dans la vie, et des injustices bien plus graves que celle-ci. Jésus, lui non plus, n’avait rien fait. C’est le seul qui n’a fait aucun mal, c’est le seul qui ait été obéissant jusqu’au bout, c’est pourtant le seul qui ait été puni. “Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui.” Et lui, il n’a pas eu cent lignes à copier, on l’a cloué sur une croix. Alors, quand tu te sens victime d’une injustice, pense à lui, ce n’est pas pour rien qu’il est aussi appelé “Soleil de justice” »

Ma mère sait toujours trouver les mots qu’il faut pour m’encourager. Ma colère s’est vite apaisée. J’ai pris mon cahier Seyès et mon porte-plume, et de ma plus belle écriture de cochon, car on me dit tout le temps que j’écris comme un cochon, j’ai écrit : “Je ne dois pas chahuter quand la maîtresse écrit au tableau, » en prenant soin de serrer suffisamment les lettres pour que tout tienne sur une seule ligne, ensuite, j’ai formé une colonne de 99 « Je », puis une autre colonne de 99 « ne »…