Chapitre XXIX - La source du Loiret

 

L’euphorie de la victoire passée, Zoé sauta par-dessus les toits dépouillés de leur ardoise. Elle ramassa le corps inerte de Laure qu’elle prit dans ses bras comme une vieille poupée, et revint sur la place. Elle l’étendit sur le sol.

Ayant placé ses genoux de part et d’autre du buste de Laure, elle couvrit son visage de sa main.

Laure quitta le sommeil de la mort.

« Qu’est-ce qui m’arrive ?

– Quelle musique emporteras-tu dans l’éternité : Bach ou Scriabine ?

– Scriabine.

– C’est dommage. Tu as fait le mauvais choix.

– Pourquoi y a-t-il tant de lumière ? Elle me brûle les yeux. »

Zoé se leva et s’éloigna de Laure qui tourna son corps en gémissant, la face contre terre.

 

« Est-ce que tu vas aussi ressusciter Thanatos ?

– Ce n’est pas l’envie qui me manque, rien que pour le plaisir de le retabasser. »

Quelques minutes s’écoulaient. Zoé reprenait tranquillement sa taille normale. Ses beaux cheveux avaient retrouvé une apparence ordinaire, et pourtant, toute la ville était enveloppée de la lumière du jour.

« Tu n’as plus besoin de rester une journée allongée pour retrouver ta taille ?

– Non, car ma mission est terminée. Je suis devenue une petite fille comme les autres. J’ai tué Thanatos et j’ai rétabli la lumière. Il me reste encore une chose à faire : conduire ce peuple vers la liberté. »

« Regardez Thanatos ! »

De la bouche du tyran vaincu sortait une sorte d’ectoplasme. Un liquide noir glissait sur son corps et se répandait. Un ruisseau d’encre de Chine se constituait. Il s’élargissait et s’écoulait le long de la rue Royale.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Sigur.

– Ce sont les ténèbres, » répondit Zoé.

Laure se mit à ramper jusqu’à plonger sa tête dans la rivière noire, puis elle y immergea son corps entier. Elle disparut.

Les autres partisans de l’empereur déchu l’imitèrent. Une foule rampante se rua dans le fleuve de la nuit : leur seule délivrance contre la lumière qui les accable.

Le fleuve d’encre grossit à mesure qu’il s’enrichit d’âmes. Tel un pont-canal, il franchit le pont Georges V et inonde l’ancienne Nationale Vingt. Il mêle enfin ses flots aux eaux paisibles du Loiret.

« Le Loiret, qui est aussi large à sa source qu’à son confluent, n’est pas une véritable rivière, explique Zoé. C’est une résurgence de la Loire. Ceux qui ont refusé l’appel du Dieu véritable sont entraînés dans ce courant noir jusqu’à la source du Loiret. Cette source est la principale entrée vers le monde des ténèbres dont je vous ai déjà parlé.

– Ont-ils un espoir d’en sortir un jour ?

– Non.

– C’est terrible !

– Ils n’avaient qu’à m’écouter, » répondit froidement Zoé.

 

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