Chapitre XXII - L’Émir Abdallah

Le président rumine et rumine encore, à croire que la nature l’a doté de quatre estomacs : un pour la résistance des chrétiens, un pour l’insolence d’Adhémar, un pour Lynda, et le plus gros pour la crise économique, laquelle témoigne à la Syldurie et aux autres nations de son impuissance et de son incompétence.

Il est énervé, reste cloîtré dans son coin. Même la belle Judith n’arrive pas à la décrisper. Elle l’énerve. Tout l’afflige et lui nuit et conspire à lui nuire.

L’annonce portée par un employé le tire enfin de sa noire torpeur :

« Son Altesse Abdallah Ibn Achmed Saïd Omar Mustapha Ben Kalish Ezab, émir du Khemed.

– Enfin ! Ce n’est pas trop tôt ! Faites-le entrer. »

Abdallah, revêtu du costume national du Khemed, s’installa dans un fauteuil, comme chez lui, il ouvrit sa valisette et en tira une boîte de cigares.

 

« Missiou Prisident, ti prendras bien un cigare di mon pays.

– Euh… oui, volontiers, ça me calmera les nerfs.

– Ti verras, Missiou Prisident, avec ça, ti vas piter li fou. »

Dimitri tira son briquet, alluma le cigare de l’émir, puis le sien. Les deux chefs d’État échangeaient d’interminables politesses, brusquement interrompues par une détonation. Dimitri, le visage noirci par l’explosion, se tenait le cœur, l’émir se tenait les côtes.

« C’i cuilà qui ji prifire, Missiou Prisident. Un pô di poudre à canon entre li fouilles di tabac, et paf ! Ci rigoulou. J’adore lis farces i attrapes.

– En tout cas, pour me calmer les nerfs, c’est réussi ! Si nous parlions de notre affaire. Vous savez que la république de Syldurie est au bord de la ruine. Or, comme nous en avons déjà parlé, nous pourrions envisager un traité économique entre nos deux pays.

– Pas di proublime. La Syldourie i li Khemed sont dis pays amis. Toi t’as pas d’idie, moi j’i la pitroule. J’ti donne la pitroule, autant que t’en vô. T’en vô combien, de la pitroule ?

– Autant qu’il en faut pour relancer l’économie du pays. Je rembourserai quand elle aura redémarré.

– Pas d’histoire di pougnon entri nous. J’ti donne la pitroule, j’ti dimande mime pas di pougnon. Jiste ine toute pitite chose : la cathidroule, t’inlive li staties, li zicones, tô ça, et pis, elle s’appilera pli cathidroule sinte Fidorova, elle s’appilera mousquie Émir Abdallah Ibn Achmed Saïd Omar Mustapha Ben Kalish Ezab. Ci pas chir.

– Rien que ça ? C’est que… ça risque de provoquer un choc culturel.

– Pas de mousquie, pas de pitroule ! »

Dimitri dut se résigner à signer cet étrange contrat. L’émir lui donnait quelques puits de pétrole afin de sauver la Syldurie du naufrage, en échange, le président commençait à brader le pays au Khemed, à commencer par la cathédrale.

Il appela son chauffeur. Cette fois-ci, il avait vraiment besoin de se calmer les nerfs par une petite excursion au bord de la mer. Il prit place dans la plogrovomobile officielle. Le chauffeur mit le contact. Le démarreur scia du bois jusqu’à l’épuisement de la batterie.

« Et alors, mon vieux ? Qu’est-ce qui se passe ?

– Elle ne démarre pas.

– Je vois bien qu’elle ne démarre pas ! Qu’est-ce que vous attendez pour aller voir sous le capot, que je plonge les mains dans le cambouis à votre place ?

– Je n’y comprends rien. J’ai refait l’allumage la semaine dernière. »

Transformé en mécanicien, le chauffeur leva le capot et démonta une des bougies.

« C’est du sabotage, patron, des terroristes ont saboté la voiture présidentielle. »

L’émir Abdallah est décidément un incorrigible farceur. Il n’avait rien trouvé de mieux, pour se distraire, que de vider un kilo de sucre en poudre dans le réservoir.

« Quelle journée ! soupirait Dimitri. Enfin, le voilà reparti dans son désert, et moi, j’ai ses puits de pétrole. Je suis riche. Je vais redresser la Syldurie et je serai réélu dans cinq ans. »

Abdallah n’était pas à sa dernière facétie : les puits de pétrole qu’il lui avait troqués contre la cathédrale Sainte-Fédorova sont épuisés depuis plus de vingt ans.

 

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