Troisième tableau

La côte, près de Wissant. La cabane de Merlu. Au loin, le cap Gris-Nez.

Scène première

CASSAGNAC – CHŒURS

CASSAGNAC

Forteresse de craie, falaises altières

Vagues au front gris, roches meurtrières.

Vous vîtes l’angoisse et la mort.

Horrible port !

CHŒURS

Que de carnages !

Que de naufrages !

Sur les rochers

Tant de nochers

Se sont brisés

Loin du rivage !

CASSAGNAC

J’entends déjà, du fond des flots,

La voix des âmes englouties

Crier vengeance pour leurs vies,

Les gémissements des héros.

Le cap Gris-Nez, rocher sinistre,

Livre à la vague sa craie bistre,

La grise lame de son roc

Défie la mer telle une étrave.

La marée découvre le foc

Et la misaine des épaves.

CHŒURS

Le cap Gris-Nez, rocher sinistre,

Livre à la vague sa craie bistre,

La grise lame de son roc

Défie la mer telle une étrave.

La marée découvre le foc

Et la misaine des épaves.

CASSAGNAC

Cet altier roc étreint mon cœur.

CHŒURS

De Cassagnac, aurais-tu peur ?

CASSAGNAC

Terrible au milieu de l’orage...

CHŒURS

Qu’as-tu donc fait de ton courage ?

CASSAGNAC

Que de carnages !

CHŒURS

Que de naufrages !

CASSAGNAC

Oh quel effroi !

CHŒURS

Quel désarroi !

CASSAGNAC

Voile arrachée !

CHŒURS

Rames brisées !

v

CASSAGNAC

Allons ! Courage ! Il faut marcher. Je veux savoir la vérité. Et voilà justement la maison de ce Merlu. Sinistre bicoque ! Elle l’est autant que ce cap Gris-Nez. Cette demeure s’harmonise bien avec le paysage.

Scè

NAC – MERLU – CHŒURS

v

CASSAGNAC

Holà ! Quelqu’un ?

MERLU

                                       Quel est donc ce vacarme ?

Et qui, par ses alarmes,

Me trouble ainsi ? Quel est donc cet hurluberlu ?

CASSAGNAC

Ami, n’êtes-vous pas le dénommé Merlu ?

MERLU

Je le suis en personne,

Et votre serviteur, monsieur, par la Madone !

CASSAGNAC

Charles de Cassagnac, venu tout droit d’Anvers.

(à part)

C’est lui sans nulle erreur, plein de fraude et pervers,

La trahison affichée sur sa mine,

Les yeux de rat, le nez de fouine,

Le rhum et le tabac puant à défaillir.

MERLU

Allons, en quoi, Monsieur, vous pourrai-je servir ?

CASSAGNAC

N’avez-vous pas, voici dix-huit années,

Sur votre barque à la mer emmenée

Ma cousine Idelette, un enfant nouveau-né,

Et ses pauvres parents sur les flots déchaînés.

CHŒURS

Sur les flots déchaînés un enfant nouveau-né,

Ses parents évadés par un soir de tempête...

 

 

MERLU

Ma foi, Monsieur, pour être honnête.

Je n’en ai nul souvenir.

Des luthériens bannis, j’en ai tant vu s’enfuir.

CHŒURS

Des luthériens, Merlu, en a tant vu s’enfuir,

D’Idelette il n’a nul souvenir.

v

CASSAGNAC

Voyons, Monsieur Merlu ! Vous ai-je dit que mon oncle était luthérien ? Je crois bien que vous mentez, et que vous savez très bien de qui il s’agit.

v

MERLU

Sur la mer déchaînée, c’est vrai, je me rappelle,

Un couple insensé

Me pressa de quitter la plage d’Audresselles.

Qui donc aurait pensé

Que seuls ils se seraient jetés dans la tourmente.

CHŒURS

Merlu, te souviens-tu de la nuit d’épouvante ?

MERLU

Certes, je m’en souviens, vision éprouvante.

Un homme les a vus, témoin terrorisé :

Contre le Cran-aux-Œufs la mer les a brisés.

v

Il y avait en effet un nourrisson avec eux, une petite fille qui a échappé au désastre. Je l’ai appris beaucoup plus tard. Elle a été recueillie par Louis Mauprat, le forgeron d’Audresselles. Elle habite toujours chez lui.

 

 

CASSAGNAC

Monsieur Merlu, conduisez-moi chez ce forgeron. C’est très important pour moi.

MERLU

C’est hors de question ! Mauprat et moi, nous sommes ennemis jurés, parce que nous aimions la même fille quand nous avions vingt ans. Elle n’a finalement épousé aucun de nous deux, mais nous sommes restés fâchés.

CASSAGNAC

Eh bien ! Conduisez-moi jusqu’à Audresselles, et là, vous m’indiquerez seulement le chemin.

MERLU

À la seule condition que vous me payiez une pinte de rhum.

CASSAGNAC

Marché conclu ! Allons-y promptement !

MERLU

Levons l’ancre ! Mais n’oubliez pas mon flacon. En chemin, je vous raconterai quelques belles histoires de tempêtes et de naufrages.

v

Car d’Étaples jusqu’à Sangatte

J’ai vu périr mille frégates.

Vaisseaux démâtés loin du port,

Marins abîmés dans la mort.

 

Un jour, ô souvenir pénible,

Se produisit un drame horrible.

Il faisait nuit, le vent hurlait,

D’énormes rouleaux déferlaient.

 

Au plus puissant de la tempête

Apparut une goélette,

Ce navire à la mort voué

Cherchant un lieu pour s’échouer.

 

Quelques pirates sans scrupules,

Épiaient sur un monticule.

Ces forbans aux desseins affreux

Sur le rocher firent un feu.

 

Espérant en cette lumière

Une manœuvre salutaire,

Les pilotes en perdition

Mirent cap en sa direction.

 

Hélas, funeste tromperie !

Mâts, gouvernail et voilerie

Sur le roc se sont fracassés

Et l’équipage trépassé.

CASSAGNAC

Quelle aventure abominable !

Si par malheur ces misérables

Avaient mes parents naufragé

Et sur les rochers dirigé.

CHŒURS

Hélas, pauvres naufragés

Sur le Cran-aux-Œufs dirigés,

Brisée comme un fétu la fragile nacelle.

Où étais-tu, Merlu ?

MERLU

                                   Déjà loin d’Audresselles.

v

 

la suite

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