Chapitre XXV - La confession de Sigur

La bataille avait pris fin. Les troupes de Thanatos s’étaient retranchées dans leurs quartiers.

Une qui ne chômait pas, c’était Zoé. Caressant les plaies de ses douces mains, elle guérissait tous les blessés. Puis elle rendit la vie aux morts, et pas seulement à ceux de son camp.

Elle rejoignit le soldat que Félixérie avait décapité. Elle rapprocha la tête du corps, entoura de ses doigts le cou tranché. Une soudure se fit. L’homme ouvrit les yeux.

« Tu es mon prisonnier, » lui dit-elle.

Puis elle arracha un de ses cheveux et en lia les poignets du vaincu.

« Ce lien peut te sembler bien ténu, mais si tu le forces, il va se mettre à chauffer, puis à brûler, alors je te conseille de te tenir tranquille. »

Zoé conduisait ainsi tous ses prisonniers : tous les hommes de Thanatos, demeurés sur le carreau, qu’elle avait soignés ou ressuscités.

 

Félixérie avait terminé de restaurer le sien.

« Nous ne pourrons pas nous aimer tant que nous ne servirons pas le même maître, lui dit-elle.

– Eh bien ! Sers Thanatos, et le problème sera réglé.

– Thanatos est un tyran grotesque et tu as grand tort d’être de son côté. Il est déjà vaincu.

– Tu crois vraiment qu’il sera vaincu par le ver luisant ! Ridicule ! Il va la culbuter d’une chiquenaude !

– Je t’interdis de parler ainsi de Zoé.

– Et moi je t’interdis de blasphémer contre Thanatos.

– Tu m’interdis ! Et que feras-tu si je désobéis ?

– C’est Thanatos qui te châtiera. Il est de nature divine. Il voit tout. Il sait tout. Il peut tout.

– Thanatos est d’essence divine ! Il est omnipotent, omniscient, et tout le bataclan, et il ne sait même pas où la Loire prend sa source ! Il y a tout de même un problème, là, tu ne trouves pas ?

– Bon, d’accord ! Sur ce coup-là, tu marques un point... N’empêche, il a la connaissance de toutes choses. Tiens, par exemple : tu sais, toi, qui a écrit la Caravane du Caire ?

– Oui... C’est Grétry. »

Sigur ne dit plus rien. Elle venait de lui couper son effet en beauté.

« Réfléchis bien à ce que je t’ai dit. Zoé va bientôt mener la bataille finale. Il vaudra mieux pour toi ne pas être dans le camp du vaincu. »

Elle lui délia les poignets pour les lier à nouveau, l’aida à se hisser sur son cheval. Ils s’éloignèrent tous deux, sur la même monture, en direction de Chambord.

Parvenue au château, elle livra Sigur à Zoé qui ordonna qu’on le mette en prison.

Félixérie avait fait auprès de Zoé d’instantes requêtes en vue de visiter Sigur.

« N’insiste pas. Je t’ai déjà dit non, et c’est toujours non. Je te rappelle que ton ami s’est rendu coupable de trahison, qu’il a livré à l’ennemi des informations secrètes. Je te rappelle aussi que tu n’as pas tellement été à la hauteur dans cette affaire. J’aurais dû te faire mettre en prison, et Sigur mérite la mort. »

Félixérie, en pleurs, tomba à genoux, enroulant ses bras autour de la taille de Zoé qui, pour éviter tout accident, avait noué ses cheveux.

« Je t’en supplie, ne fais pas ça ! Je préfère mourir à sa place.

– Ne t’emballe pas comme ça ! J’ai dit qu’il mérite la mort. Je n’ai pas dit que c’est ce qui va lui arriver. »

Sigur justement rongeait à nouveau son frein, à défaut de pouvoir ronger les barreaux de sa prison, qu’il partageait avec quelques ressuscités.

Un guerrier parut devant la grille.

« La prophétesse veut te parler.

– La prophétesse ?

– Zoé.

– Ah ! Oui ! Zoé ? Qu’est-ce qu’elle me veut, celle-là ? »

Il fut introduit dans une salle où l’attendait Zoé, confor-tablement calée, les jambes croisées, dans un fauteuil Empire délavé.

« Assieds-toi ! dit-elle avec autorité.

Sigur, nous t’avons accueilli à la Salamandre, nous t’avons protégé, nous t’avons formé au combat, nous t’avons intégré, nous t’avons fait confiance. Malgré notre bienveillance, tu nous as trahis. Qu’as-tu à me dire pour ta défense ?

– Je n’ai rien à te dire. Je n’ai pas à me justifier devant toi, encore moins à te donner des excuses. Je suis un soldat de Thanatos, l’empereur divin. Je n’ai de comptes à rendre qu’à lui. Ce n’est pas une petite fille comme toi qui va me donner des leçons ! »

Zoé dénoua sa chevelure qui se déroula en torrent le long de son dos, gonflée et semblable à un soleil couchant. Quand ses cheveux sont comme cela, ce n’est vraiment pas bon signe.

« C’est ton dernier mot, Sigur ? Alors, écoute-moi bien. Frédo est assez fort pour m’écraser contre un mur avec son index, mais quand je lui passe une soufflante, il baisse la tête. Alors, puisque tu le prends sur ce ton, puisque tu juges offensant de te faire dire tes quatre vérités par une petite fille, je vais te laisser t’expliquer avec lui. Vous aurez une discussion plus virile, si c’est ce que tu veux.

– Euh !... Zoé...

– Très bien ! tes trois neurones commencent à s’agiter dans ton petit cerveau. Tu as tout de même compris qu’il valait mieux tomber dans mes mains que dans les siennes. Alors je reformule ma question : quelles excuses as-tu à me fournir pour ton comportement inqualifiable ? »

Sigur baissait la tête en rougissant.

« Je n’en ai pas, Zoé, je regrette. Tu me mets au supplice. »

Trois coups à la porte mirent fin à sa torture.

« Zoé, c’est Django. Ça va être à toi, j’ai infiltré le réseau informatique de Thanatos.

– Merci Django. Je te suis. »

Elle se leva, souleva Sigur de son siège en l’empoignant au collet.

« Toi, tu viens avec nous. Si après ce que tu vas voir et entendre, tu n’as toujours pas compris que ton empereur divin est un bouffon, je mange mes chaussures et je te recolle au gnouf. »

 

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