Acte II

Un an plus tard

La Nouvelle Babylone. Le siège social de Plogrov au sommet d’une tour. Vue sur l’Euphrate et sur un immense chantier. Des bureaux. Au mur, le tableau de Brueghel l’Ancien : « La tour de Babel ».

Scène Première

BAFANOV – YVONNICK

BAFANOV

Je ne vous aime pas.

YVONNICK

                              Moi non plus.

BAFANOV

                                                   Persifleuse,
Toujours provocatrice, peste prétentieuse !

YVONNICK

Prétentieux vous-même ! Philosophe ringard !
Avide de faveurs, rampant comme un cafard.

BAFANOV

Il suffit ! Taisez-vous ! Si vous étiez ma fille,
Je saurais de ma main vous rendre plus gentille.
J’userais de ma force à vous faire obéir.

YVONNICK

Cela m’étonnerait. Oseriez-vous sévir ?

BAFANOV

Oui. Je vous calmerais d’une leste fessée.

YVONNICK

Il menace, à présent ! Ridicule pensée !
Frappez-moi d’une gifle et je vous en rends dix ;
Si vous les aimez tant, je distribue gratis.

 

 

BAFANOV

Allez-vous-en, chipie ! Sortez ! Prenez la porte.
Ôtez-vous de ma vue avant que je m’emporte.

YVONNICK

Petit chien qui aboie, c’est qu’il me ferait peur !

BAFANOV

Sortez !

YVONNICK

            Je resterai, car pour votre malheur,
Plogrov, mon cher mari, mon patron et le vôtre
Vous a tout désigné pour être son apôtre
Et pendant les veillées, le soir, au coin du feu
Dimitri me narrait vos faits miraculeux*.
Ses récits, mon ami, tous deux nous ont fait rire.
Vos bourdes, dans un livre, il faudrait les écrire.

BAFANOV

Quoi ? Petite chipie, vous osez vous moquer…

YVONNICK

Quels terribles fléaux vous avez provoqués !
La Maritza roulant ses flots de grenadine ! *

BAFANOV

Et cela vous amuse, insolente gamine !

YVONNICK

La gamine n’a pas fini de vous mener,
Le mors à la mâchoire et l’anneau dans le nez.

BAFANOV

C’est ce que nous verrons.

YVONNICK

                                     Et le coup de la grêle ! *
La malédiction, criquets et sauterelles !

 

 

BAFANOV

Sauterelle vous-même, et belle dinde aussi !

YVONNICK

Dans votre potager vous avez réussi
Mais sur l’Égypte point.

BAFANOV

                                   Assez de moquerie !

YVONNICK

De toutes vos bévues permettez que je rie.

BAFANOV

Morbleu ! Je ne ris point !

YVONNICK

                                     Mais laissez-moi finir.
Ne comprenez-vous pas où je veux en venir ?
Je suis à vous entendre une horrible gripiette
Mais je suis excellente en tout ce que vous faites.
D’accord avec le maître il fut donc décidé
Qu’à l’instruction du cancre il faudra procéder.

BAFANOV

Qui est un cancre ?

YVONNICK

                              Vous.

BAFANOV

                                      Qu’il me faut de patience !

YVONNICK

Je vous enseignerai mes arts et ma science
Car pour être prophète à toutes les nations
Il faut connaître au moins la divination,
Et la chiromancie, et l’oniromancie,
Maîtriser, c’est normal, les dons de prophétie.
Dimitri m’a choisie pour être précepteur,
Vous serez mon élève et, à bon entendeur,
Vous devrez m’obéir, faire vos exercices.
Vous parliez de fessée ? En bonne directrice,
Si vous apprenez mal, écolier maladroit,
J’oserai châtier de ma règle vos doigts.

BAFANOV

Voilà qui promet ! Bien ! J’aimerais mieux me pendre.

YVONNICK

Pour bien collaborer nous devrons nous entendre.

BAFANOV

Cela n’est pas gagné !

YVONNICK

                                Je crois qu’il vaudrait mieux
Limiter nos margailles.

BAFANOV

                                   Qu’ai-je fait au Bon Dieu ?

YVONNICK

Laissez Dieu, s’il vous plaît en dehors de l’affaire.
Il est mort, sachez-le ; sa défaite est entière.
Paix ! Voici Dimitri, prince de l’univers
Qui seul redressera ce vieux monde pervers.

(Entre Plogrov.)

Scène II

BAFANOV – YVONNICK – PLOGROV

PLOGROV

Qu’on se taise et salue mon auguste personne.
Nimrod est revenu, le roi de Babylone,
Nimrod numéro deux, oui, c’est par ce prénom
Que je veux qu’on m’appelle. Ma gloire et mon renom
Illuminent la terre. Ma personne est sacrée.

BAFANOV

Ô folie de grandeurs et dramatique entrée !

YVONNICK

Taisez-vous !

BAFANOV

                    Si je veux.

PLOGROV

                                   Je suis le fondateur
D’un royaume éternel, potentat, créateur.
Du haut de ces hauteurs contemplez donc ma ville,
Fondée sur cet Euphrate aux rivages fertiles.
Le grand Nimrod, jadis, construisit une tour ;
Il ne l’acheva point, mais Plogrov, à son tour,
Appelant près de lui les plus fins architectes,
Construit pour chaque peuple et pour chaque dialecte,
Pour diriger les cieux, les mers, le monde entier,
L’éternelle cité. Admirons ce chantier.
Il n’a fallu qu’un an ; remarquable prouesse.
Il fonde son empire, il tiendra sa promesse :
Un nouvel univers avec un nouveau dieu,
Domptant des océans les flots impétueux.
Yvonnick, avez-vous averti mon prophète
Que vous le formeriez des pieds jusqu’à la tête.

BAFANOV

Elle m’a prévenu.

PLOGROV

                           Excellent ! Au travail !
Votre grand ministère doit filer sur ses rails
Et le monde nouveau déjà s’est mis en place.
Le monde ancien s’ébranle et tombe sur sa face,
Et voici Babylone, imprenable cité
D’où les peuples plieront selon ma volonté.

 

 

YVONNICK

En un an, rien qu’un an ! Quels combats ! Quelle route !
Nous avons surmonté mille obstacles, sans doute,
Depuis que les croyants, jusqu’au ciel élevés,
Que des « nés-de-nouveau » plus un ne fut trouvé,
La terre est délivrée de ces chrétiens perfides,
Ce qui ne signifie que les temples sont vides.
L’apostasie s’abat sur les pays entiers.

PLOGROV

Vaines religions, nul ne peut le nier,
Ces dévots ont besoin d’apôtres et de guides
Qui soient en même temps rabbins, prêtres et druides.
Toutes religions dans un même chaudron,
Pieuse impiété, ami, nous forgerons.

YVONNICK

Le pouvoir est fondé sur cette duperie.
Le veau d’or, mes amis, la sainte idolâtrie !

BAFANOV

Je ne comprends pas tout.

PLOGROV

                                        Yvonnick vous dira
Ce qu’il vous faut savoir et tout s’accomplira.
Alors que de la foi les eaux se sont taries,
Nous avons vu tomber l’infâme Syldurie.
Du continent pervers la folle ambition
Avale tous les peuples, aspire les nations.
L’Europe est engraissée du sang de ses fidèles ;
Qui pourrait l’ébranler, terrible citadelle.
Par d’habiles manœuvres, en fin politicien,
J’ai maintenu ce monstre en laisse comme un chien.

 

 

YVONNICK

Manipulations, pots de vin, tromperies,
Occultes alliances et Franc-maçonnerie !

PLOGROV

Le bigre m’appuyant, n’était-il pas normal
Que j’en sois désigné président général ?
Prix Nobel de la paix, moi qui chéris la guerre !
De ce trône élevé je domine la terre,
Tout comme des marottes ou comme des pantins
Des petits dictateurs je guide le destin.
Je contracte avec l’Inde, la Chine et la Russie
Traités à mon profit.

YVONNICK

                                   La fourbe est réussie.
Elle est alimentée aux sources de Satan,
Un maître redoutable, un utile assistant.
Nous foulons sous nos pieds les tribus de l’Afrique.
Notre voix fait trembler la puissante Amérique.

PLOGROV

Je gagne leurs armées, je pille leurs trésors,
De leur économie je ruine les efforts,
Et pour accréditer ma sagesse divine,
Je soutiens Israël contre la Palestine ;
Et les Palestiniens, pour combattre Israël,
Je les arme en secret.

BAFANOV

                               Non ? Vraiment ?

YVONNICK

                                                           C’est réel.
Cacher avec les Juifs, hallal chez les Arabes,
Marchant sournoisement tout de biais comme un crabe.

 

 

PLOGROV

Enfin, de cette tour de verre et de métal,
Je dirige ma flotte en parfait amiral.
Ma ville, Babylone, superbe capitale
Couvre l’ancien Irak, ses banlieues s’étalent
Jusqu’aux rives du Tigre et jusqu’à l’infini
La ville grandira. Tous les peuples unis
Sous mon bras protecteur y trouvent un refuge.

YVONNICK

La colère de Dieu, Sodome, le déluge,
Sous l’aile de Nimrod, qui la craindrait encor ?
L’Éternel fut puissant, Plogrov est bien plus fort.

(Un secrétaire entre et remet une carte de visite à Plogrov et sort aussitôt.)

PLOGROV

J’ai donné rendez-vous à ce juif téméraire ;
Avec ce Grand-Rabbin nous aurons quelque affaire.
Rosenfeld est ici. Les douze clans hébreux
Attendent l’entretien. Qu’il soit donc chaleureux.

BAFANOV

Il semble qu’Israël ait trouvé son messie.
Je laisserai donc place à la diplomatie.

PLOGROV

Non. Restez, Bafanov. Vous êtes concerné.
Car c’est de religion qu’il faudra raisonner.

YVONNICK

Les rabbins n’aiment pas parler avec des femmes.
Je m’en vais.

PLOGROV

                   Nullement, tendre feu, douce flamme.
Pour l’aider à signer ton esprit pernicieux,
Ton charme et ta beauté me serviront au mieux.

Je compte sur tes bras, sur tes yeux, sur ta bouche.
Pour atteindre nos fins, jette-le sur ta couche.

YVONNICK

Quoi ? Tu n’y songes pas ! Séduire un rabboni !

PLOGROV

Tout Grand-rabbin qu’il soit, c’est un homme fini.

(Entre Rosenfeld.)

Scène III

BAFANOV – YVONNICK – PLOGROV – ROSENFELD

PLOGROV

Grand Rabbin d’Israël, à vous la bienvenue.

ROSENFELD

Que la grâce de Dieu vous descende des nues.

PLOGROV

Avez-vous visité la divine cité ?

ROSENFELD

Divine, Allons ! Ce titre a-t-elle mérité ?
La ville élue de Dieu, c’est la montagne sainte.
C’est Sion. L’Éternel y posa son empreinte.
C’est la ville de paix, du Seigneur, de ses oints,
C’est la ville éternelle.

PLOGROV

                                   Ne nous querellons point.
Admirez Babylone, superbe métropole
Dominant tous les rois de la terre, un symbole.
Savez-vous, Grand Rabbin, qui je suis ?

ROSENFELD

                                                           Dimitri…

PLOGROV

Je suis Nimrod le grand, de tous les dieux chéri.

 

 

ROSENFELD

Je crois en un seul Dieu, je ne sers qu’un seul maître.

PLOGROV

Quelle rébellion iriez-vous-là commettre !
Les peuples révoltés levant leurs poings au ciel
Rassemblent leurs canons pour briser Israël.
Croyez-vous que ce Dieu qu’on nomme « des Armées »
Seul vous protégera. De colère animées,
Les nations liguées resserrent leur étau,
Les perfides goïm aiguisent leurs couteaux.
Impuissant campagnol, voyez-vous les rapaces
Tournoyer dans l’azur ? Bec et serres ! menaces !
Je suis votre messie, point de contestation.
Je vous protégerai contre ces nations.

ROSENFELD

Depuis cinq millénaires toute l’orthodoxie,
Patriarches, prophètes aspirent au Messie.
N’êtes-vous pas natif, maître, de Bethléem ?

PLOGROV

Non, je ne le suis point, ni de Jérusalem.

ROSENFELD

À mon plus grand regret, le prophète Michée…
Son message est précis, notre affaire est tranchée.
Vous êtes mauvais scribe, il vous faut l’avouer.

PLOGROV

Yvonnick, mon trésor, c’est à toi de jouer.

YVONNICK

Rabbi, regardez-moi, j’ai trois mots à vous dire.
J’ai reçu le pouvoir de perdre et de séduire.
Toute votre sagesse, vieillard prétentieux,
Chavire et fait naufrage dans les flots de mes yeux.
Gare aux féroces crocs ! Gardez-vous de la chienne !

ROSENFELD

Tu ne laisseras pas vivre la magicienne.

YVONNICK

Magicienne d’En Dor, Saül en mon pouvoir !
Captive est ta pensée, ton esprit dans le noir.
Sous les forces obscures ton âme devient folle.

PLOGROV

Écoute bien de moi ce que dit la Parole :
Ô portes éternelles élevez vos linteaux !
Voici le Roi vêtu de l’impérial manteau.
Voici le Roi de gloire, l’Éternel des Armées,
Que dans la cité sainte il fasse son entrée.
Il est question de moi dans la prédiction.
Je marche vers le trône, j’en prends possession.
Il est encore écrit dans le Psaume seizième :
Tu ne permettras pas que l’âme que tu aimes
Périsse et que son corps voit la corruption.
David parle de moi, point de contradiction !

En effet, je mourrai de blessure mortelle
Et ressusciterai pour la gloire éternelle.

ROSENFELD

Vous êtes le Messie, sans contestation.

YVONNICK

Était-ce difficile ?

PLOGROV

                         Il paraît qu’en Sion
Vous avez fort à faire à deux énergumènes.

ROSENFELD

De sacs leurs dos vêtus, étranges phénomènes !
Prophétisant toujours au nom du Tout-puissant
Bouches crachant le feu, les sources tarissant
Ne donnent plus que sang, effroyable breuvage !
Nul ne peut arrêter des témoins les ravages.
Moïse, Élie, tels sont les noms qu’ils ont volés,
Inspirant la terreur au peuple désolé.

PLOGROV

Fondez-vous sur Nimrod, imprenable muraille,
Je vous délivrerai, moi, de cette racaille !

J’apporte à votre peuple un océan d’espoir.
Vous êtes mon convive, invité de ce soir ;
Quand nous aurons conclu mon traité d’alliance,
Il vous reste à signer, tout était prêt d’avance,
Israël et Nimrod, armés du bras de Dieu
Écraseront du pied les peuples odieux.
Je vous prête Yvonnick, la nymphe désirée
Qui vous fera passer d’agréables soirées.
Mais l’ouvrage d’abord ! Voyons ce document.
Passons dans mon bureau et signons promptement.

(Sortent Plogrov, Bafanov et Rosenfeld. Yvonnick reste seule, puis, entrent Apollos, Théophile et Priscille, sans voir Yvonnick.)

Scène IV

YVONNICK – APOLLOS – THÉOPHILE – PRISCILLE

PRISCILLE

J’ai si peur !

THÉOPHILE

                 Moi aussi !

PRISCILLE

                                  Lieux maudits ! Partons vite !

APOLLOS

Nous étions convaincus, maintenant tu hésites ?

PRISCILLE

Trouverons-nous ici la gloire des martyrs ?
De cette Babylone, enfin, je veux sortir.
Faut-il se prélasser sur la visqueuse plante ?
Sur la lèvre baiser la sournoise népenthe,
Sucer le suc mortel du traître drosera ?

APOLLOS

Nous voici tous en place, pour le reste, on verra.

YVONNICK

Puis-je vous renseigner ? Que faut-il pour vous plaire ?

APOLLOS

Nous cherchons le patron.

YVONNICK

                                     Je suis sa secrétaire.
Le maître est occupé, mais j’ai votre dossier ;
Ne vous inquiétez pas, je l’ai bien étudié.

PRISCILLE

Qu’elle est jeune !

YVONNICK

                          Seize ans ; mais aux femmes bien nées
La vigueur n’attend pas le nombre des années.
Pour seconder Plogrov je suis à la hauteur.

THÉOPHILE

Vous êtes cultivée, connaissez vos auteurs.

YVONNICK

Pour embellir encore la somptueuse ville,
Babylone a besoin de bâtisseurs serviles,
Myriades dociles, affranchis serviteurs.
Je devrais dire : esclaves.

PRISCILLE

                                     Oh ! Ce mot me fait peur !

YVONNICK

Leurs boulets sont légers, point de fouets ni de chaînes,
Mais je sais, par l’esprit mener cette gangrène.
Nous avons engagé manœuvres à foison
Mais pour les insoumis bâtissons des prisons.

PRISCILLE

(à Apollos)

Partons d’ici !

THÉOPHILE

(à Apollos)

                   Allons-nous-en !

YVONNICK

                                          Comment ? Vous dites ?
Vous quittez la partie quand le roi vous invite ?
On ne décline point son offre, mes amis.
Il ne retire pas ce qu’il vous a promis.
Il faut des ingénieurs et c’est ce que vous êtes,
Et bien d’autres métiers. Votre fortune est faite.
Plogrov vous a choisis sur huit cents candidats ;
Il sait récompenser ses fidèles soldats.
Aujourd’hui guerre et peur, tempêtes et tonnerre
Pollution mortelle et tremblements de terre,
La nature elle-même, sur l’univers entier
Crache toute sa rage ; le veut-elle châtier ?
Les peuples en révolte, exaltés de colère
S’égorgent à plaisir ; sociétés sanguinaires !
Chez nous, dans ces jardins à l’ombre des palais
On circule sans arme et chacun vit en paix.
Malgré l’immensité de la superbe ville
On vit sans violence et sans soucis, tranquille,
Car l’esprit du grand roi, sur les siens élevé,
De toutes ces terreurs il nous a préservés.

Allons ! N’hésitez plus, l’occasion est belle,
Tout est sécurité, bien blottis sous son aile…
Suivez-moi ! Et signez !

(Entre Bafanov.)

Scène V

YVONNICK – APOLLOS – THÉOPHILE – PRISCILLE – BAFANOV

YVONNICK

                                   Que faites-vous ici ?

BAFANOV

J’ai rendez-vous, ma chère.

YVONNICK

                                         Le galant que voici !
Une fille ?

BAFANOV

              Un émir. Oui, toutes les corvées
Au pauvre Bafanov sont, hélas, réservées !
Mon malheur vous fait rire ? Quel esprit collégien !

YVONNICK

À vous tout le plaisir ! Voici le Saoudien.

(Sortent Yvonnick, Apollos, Théophile, Priscille. Entre l’émir Abdallah.)

Scène VI

BAFANOV – ABDALLAH

BAFANOV

Pendant que Dimitri du Grand Rabbin s’occupe,
C’est à moi le devoir d’enfumer cette dupe.
Que faut-il que je dise à cet enturbanné ?
Trop tard pour réfléchir ; voici le basané.
Il n’a pas l’air commode avec son cimeterre
Et l’on doit à tout prix lui éviter la guerre.
Nul ne peut devenir maître qu’en pratiquant.
Sois bon ambassadeur, la balle est dans ton camp.
Sachons traiter ce prince avec délicatesse.

(à Abdallah)

Que la paix de Plogrov étreigne Votre Altesse.

ABDALLAH

Sti Dimitri Pligrov i-t-in plisant bouffon.

Qu’Allah, qui Mouhamed, sin prouphite…

BAFANOV

                                                              Pardon ?
Qu’insinuez-vous là ? Qui est-ce qui profite ?

ABDALLAH

Il n’i qu’in seul prouphite, in seul Diou.

BAFANOV

                                                           Pas si vite.
Quand vous avez signé ce trop fameux traité*
Avec Maître Plogrov, qui donc a profité ?

ABDALLAH

Ji comprends pas.

BAFANOV

                           Il t’a bradé la basilique…

ABDALLAH

Oui, contri la pitroule. Li tôr iti coumique.
Li Sidi Dimitri, li signa coume in chef.

BAFANOV

Li Sidi Dimitri en a quelques griefs :
Tes puits étaient à sec.

ABDALLAH

                                   Il fou qu’in pô l’on rie.
C’itit pour m’amusi.

BAFANOV

                               Cette plaisanterie
S’est coincée au travers de sa gorge, au Sidi.

ABDALLAH

Ji ni rigoule plis. Li Plougrov il a dit…

BAFANOV

Il a dit qu’il voulait forger une alliance
Avec les musulmans, un contrat de confiance.
À toutes religions nous désirons du bien.
Avec le peu qu’il reste encore de chrétiens
Nous fonderons la paix dans une foi commune,
Le peuple de la croix, le peuple de la lune…

ABDALLAH

Et li pôple di livre ?

BAFANOV

                           Aussi. Dans le chaudron,
Toutes les religions sous la flamme cuiront,
Croyances de l’Afrique, ou d’Europe, ou d’Asie ;
Fini l’intolérance, adieu l’apostasie.
Ce beau projet mettra tous les hommes d’accord.
L’universelle paix mérite cet effort.
Voilà ! C’est approuvé en première lecture.
Au bas du document, petite signature.

ABDALLAH

Ji ni signirai pas, mon bon pitit missiou.
Faut pas tout milangi, il n’y a qu’in sil Diou.

BAFANOV

Vous m’obligerez fort si vous signez sans faire
La tête de cochon… pardon… de phacochère.

ABDALLAH

Quoi ? Phacochir ! Ji souis émir, chien di roumi !

BAFANOV

Altesse, calmez-vous, allons, soyons amis !

ABDALLAH

Enlivi phacochir.

 

 

BAFANOV

                          J’enlève phacochère.
Le terme est malvenu, quittez votre colère
Et signez. J’oubliais de dire sur ce point
Que Nimrod veut pourvoir à vos menus besoins.
Signez, à ce traité sera jointe une prime ;
Vous serez dispensé des impôts et des dîmes.

ABDALLAH

Il donne di pougnon ?

BAFANOV

                                 Cela vous est acquis.

ABDALLAH

Ci parfi ! Di pougnon pour bâtir li mousqui.

(Bafanov lui fait signer le traité.)

 

la suite