Chapitre XXII - Insomnie

Cette nuit-là, le roi se tournait et retournait sur son lit comme la porte sur ses gonds, privé de sommeil. Il se décida à s’extraire de sous les draps, se servit à manger, puis se dirigea vers la bibliothèque. Son regard parcourt les dos gravés à l’or fin :

« Voyons ! Ça non ! Non… Non… Ah ! Chroniques des rois de Séquanie. Ce livre doit être barbant à souhait, il m’aidera peut-être à m’endormir. »

Axel s’engonça donc confortablement dans un bon fauteuil et commença la lecture d’un chapitre au hasard.

« Tiens donc ! Quelle histoire ! J’étais trop petit pour m’en souvenir. »

Voici, en résumé, l’événement relaté par la chronique :

Lors d’un déplacement officiel, alors que le cortège royal traversait le village d’Engartot, un individu se précipita dans le carrosse à dessein de poignarder le roi Philémon. C’est alors qu’un artisan, armé d’un marteau, fracassa le crâne de l’assassin potentiel. Conformément à la tradition, on dut se contenter d’écarteler le cadavre du régicide, puisqu’il était déjà mort.

Axel finit par s’endormir à six heures. Son réveil se mit à sonner à sept heures. Toujours de mauvaise humeur quand il est mal réveillé, il projeta contre le mur ledit réveille-matin qui se fracassa. Le roi se retourna dans son lit et dormit jusqu’à onze heures.

Ce n’est qu’après le déjeuner qu’il sortit enfin du cirage. Il fit appeler le vieux vicomte d’Esclandeau qui se vantait de connaître l’histoire contemporaine sur le bout des doigts.

« Vous souvenez-vous de ce bonhomme qui a tenté d’assassiner mon père à Engartot ?

– Si je m’en souviens ! Comme si c’était hier. C’est qu’elle en a fait du bruit, cette affaire-là !

– Qui est cet homme au marteau qui lui a sauvé la vie ?

– Ça, je n’en sais rien.

– Vous êtes censé tout savoir.

– Au risque de décevoir Votre Majesté, je ne suis pas Pic de La Mirandole.

– Dans ce cas, je vous charge de mener une enquête à son sujet. Je veux savoir son identité. Je veux surtout savoir quelle récompense il a reçue de mon père pour cet acte héroïque. Si vous réussissez, vous pourrez ajouter une prime de cinq cents écus à vos émoluments.

– Cinq cents écus ! Votre Majesté sera satisfaite. Je commence mes recherches immédiatement. »

Le vicomte, en effet, s’acquitta de sa mission avec zèle. Au bout de trois jours, il remit son rapport au roi.

« L’homme au marteau est donc un nommé Joseph, menuisier à Engartot.

– En effet, Majesté.

– Et ce Joseph n’a reçu aucune récompense pour sa bravoure.

– Aucune, Majesté.

– C’est injuste, vous ne trouvez pas ?

– En effet, Majesté. Sa Majesté votre père n’a fait preuve d’aucune gratitude envers lui, mais Sa Majesté votre père avait certainement de bonnes raisons qui échappent à mon entendement.

– Alors, quelles qu’aient été les raisons de Sa Majesté mon père, il est temps de réparer cette injustice. Vous ne trouvez pas ?

– En effet, Majesté.

– Ce Joseph habite-t-il toujours à Engartot ?

– Il est décédé, Votre Majesté.

– Ah !

– Mais il a un fils bien connu dans notre ville ; il est menuisier, lui aussi. Il s’appelle Maurice.

– Non ! Maurice ? Ce menuisier dont on dit qu’il n’en fait qu’à sa tête ? Celui qui, si j’en crois certaines rumeurs, refuse de faire la courbette devant Wilbur ?

– C’est lui-même, Majesté.

– Bien qu’il soit une forte tête, il recevra la récompense que lui valent les mérites de son père. Quant à vous, vous recevrez les cinq cents écus promis.

– Majesté, Votre Sire est trop bonne.

– Une dernière chose : je n’ai aucune idée de la nature de cette récompense. Que décideriez-vous, si vous étiez à ma place, ou plutôt, que désireriez-vous si vous étiez à la sienne ?

– Ma foi, Sire, si j’étais un héros, ce qui me ferait plaisir, ce serait une belle médaille tout en or qui pendrait au bout d’un ruban rouge que je pourrais porter en broche, comme ça, les jours de cérémonie.

– Bonne idée.

– Et aussi, détail pratique, un petit cordon que je mettrai à ma boutonnière, comme ça ; ainsi, je ne serai pas obligé de sortir avec, au risque de la perdre, ou de me la faire voler, mais tout le monde saurait que j’ai la médaille.

– Vous n’avez que de bonnes idées, mais je vais tout de même consulter d’autres avis. Vous pouvez disposer. »

 

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