Chapitre XXII - David

Le général est placé aux arrêts de rigueur. Lynda appelle de nouveau l’État-major.

« Je veux voir tous les officiers supérieurs et tous les officiers subalternes dans la cour d’honneur demain à dix-huit heures. Ceux qui manqueront à cet appel sans excuse seront sanctionnés. »

Le colonel raccroche en soupirant. Il pond une circulaire à la hâte. À l’heure convenue, tous les galonnés de Syldurie sont alignés au garde-à-vous. Aucune tête ne dépasse. Lynda leur fait face dans cet uniforme étoilé qu’elle porte pour la première fois et qui, reconnaissons-le, lui sied à ravir. En cas de défection du général, selon l’article XXVIII de la constitution, c’est elle qui assure les fonctions de chef des armées. Elle commence son inspection des mains, comme l’aurait fait autrefois une maîtresse d’école.

« Vous, mettez-vous sur le côté, à ma gauche… Vous aussi… Vous aussi… vous, mettez-vous à ma droite… »

À la suite de ce tri minutieux, elle prend la parole :

« Messieurs les officiers, c’est avec une grande douleur dans le cœur que je découvre à quel point les boucs sont plus nombreux que les brebis. Seuls une vingtaine d’entre vous sont demeurés fidèles à leur patrie et à leur reine, mais surtout aux valeurs nobles et chrétiennes pour lesquelles elles se sont engagées. La lourde grappe d’individus qui s’étale à ma gauche a fait le choix de se soumettre à l’homme qui s’est fait dieu. Vous vous êtes conjurés dans le dessein de détruire la Syldurie et d’y imposer les lois iniques de Plogrov. Combien de sergents, de caporaux et de soldats se sont, comme vous, livrés à l’ennemi ? Je tiens à remercier solennellement pour leur probité ceux qui sont à ma droite. Quant à ceux qui sont à ma gauche, laissez-moi vous rappeler qu’un jour, c’est le Christ lui-même qui séparera les brebis d’entre les boucs, il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche, les uns iront au salut éternel et les autres à la perdition éternelle. Je n’ai pas le pouvoir de vous sauver ni de vous perdre, mais selon nos lois, j’ai celui de vous faire fusiller pour haute trahison. Cependant, j’ai décidé, pour seule punition, de vous destituer. Le comte de Leuretzki sera votre commandant en chef en place du général Dubrun-d’Andellocq que j’ai fait mettre aux arrêts. Le général de Leuretski choisira de nouveaux officiers parmi les hommes demeurés intègres. Vous pouvez disposer. »

On entend quelques murmures dans les rangs de gauche :

« Ah non ! Pas celui-là !

– Quelque chose vous chiffonne, colonel.

– Mais… je n’ai rien dit.

– Vous avez protesté entre vos dents. Dites-le tout haut, que vos camarades l’entendent.

– Je… Je ferais remarquer à Votre Majesté que Leur… que le comte de Leuretzki, avant d’être comte, était un mauvais garçon, et qu’il a été incarcéré à la suite d’une sédition au cours de laquelle il a mis hors service trois chars de l’armée syldure. Le nommer général me paraît… comment dire ? Pas très convenable.

– Qu’est-ce que cela peut vous faire, puisque vous ne serez pas sous ses ordres. »

Sans tarder, Lynda rassembla son conseil de crise.

« Je suis dans un grand souci, dit-elle, nous craignons une guerre civile, Plogrov, plus fou que jamais, est bien décidé à s’emparer du pouvoir. La presque totalité de l’armée a rejoint son camp. Nous ne pouvons pas compter sur sa défense.

– Que ma petite reine m’accorde la parole, Plogrov tient l’armée syldure, mais nous avons pour nous l’armée céleste, laquelle devons-nous craindre ?

– Vous avez raison, Wladimir, pardonnez-moi mon incrédulité. Il ne sert à rien de chercher des stratégies, laissons à notre Dieu le haut commandement et prions. »

Une atmosphère d’adoration remplit rapidement la réunion, brusquement changée en un culte spirituel au cours duquel chacun élève la voix pour lire un texte biblique, chanter un cantique ou remercier Dieu. Un homme entre discrètement et glisse dans l’oreille de Lynda :

« Majesté, Antonia est dans le couloir, elle est dans un état proche de l’hystérie, elle veut vous parler.

– Continuez sans moi, je reviens. Félixérie, accompagne-moi, s’il te plaît. »

Les deux jeunes femmes quittent la réunion et trouvent, derrière la porte, la servante Antonia, le visage ravagé par les sanglots. Lynda la prend dans ses bras.

« Antonia ! Ma chère Antonia ! Qu’est-ce qu’il vous arrive ?

– C’est horrible ! Le… Le…

– Je vous en prie, Antonia, détendez-vous ! Aucun malheur n’est trop grand pour que Dieu n’y puisse apporter la délivrance.

– Le prince David, il…

– Je vous en prie, Antonia, dites-moi tout.

– Il a disparu. »

Lynda revoit en un instant le cauchemar dans lequel on sacrifiait ses enfants. À son tour, elle éclate en sanglots.

« D’abord un coup d’État, puis mon fils enlevé, peut-être assassiné. Pourquoi Seigneur ? Pourquoi tant d’épreuves les unes sur les autres. Tu m’as surestimée. Je ne suis pas assez forte, j’abandonne la lutte. »

Puis, se ressaisissant :

« Expliquez-moi comment c’est arrivé.

– J’ai pris les enfants pour une promenade à vélo, comme tous les mercredis.

– Comme tous les mercredis. Vous prenez toujours le même chemin ?

– Oui, dans la forêt, autour du Chêne la Guerre.

– Quelqu’un connaissait donc vos habitudes.

– Sans doute. Souvent je m’arrête pour les attendre. Ils ont les jambes moins longues que les miennes. Arrivé en haut d’une côte, je m’arrête, la princesse Léa me rejoint. Nous attendons une minute, le prince David ne nous rejoint toujours pas. Je commence à m’inquiéter. Nous faisons demi-tour, nous trouvons sa bicyclette sur le bord du chemin, la chaîne coincée entre deux pignons. Nous l’avons appelé. Nous avons cherché dans les bois. Nous ne l’avons pas trouvé. S’il est arrivé malheur au prince, tuez-moi plutôt. Je ne saurais pas vivre avec un tel poids sur la conscience.

– Je vous en supplie, chère Antonia, ne vous culpabilisez pas. Ce n’est pas votre faute. Nous allons appeler Huppim et Schuppim, ensuite, nous allons prier.

– Nous devrions prier d’abord et les appeler ensuite, suggère Félixérie. Notre Seigneur me paraît plus compétent que ces deux énergumènes pour résoudre ce genre de problème. »

Le téléphone vibre dans la poche de Lynda, un nouveau message :

« Ainsi parle Nimrod…

– Ah ! Non ! Ce n’est vraiment pas le jour !

– Lis tout de même, dit Félixérie, Cette canaille de Plogrov serait dans le coup que je n’en serais pas étonnée.

– Ainsi parle Nimrod : si tu veux retrouver ton fils vivant, cède ton trône à mon prophète Alphonse de Baffagnon, prosterne-toi devant moi, offre-moi en sacrifice cinq bœufs, dix béliers, trente agneaux, dix tourterelles et vingt-deux chauves-souris. Verse-moi aussi, pendant que tu y es, une rançon de deux cent mille couronnes. »

 

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