Éliézer

Éliézer est assis au bord du puits, il regarde les filles qui, la cruche sur l’épaule, viennent pour puiser de l’eau. Il en cherche une qui ne soit pas trop moche ; pas pour lui, pour Isaac, son patron qui, lui, cherche à se caser.

Tiens ! en voilà une qui pourrait faire l’affaire.

« Euh… Pardon, mademoiselle. Excusez-moi de vous déranger, mais auriez-vous l’obligeance de puiser de l’eau pour moi ?

– Et puis quoi encore ? Tu n’as qu’à puiser toi-même. Je ne suis pas ta bonniche, après tout ! »

Ce n’est pas gagné ! J’ai peut-être placé la barre un peu haut en demandant un signe à Dieu. Tiens ! en voilà une autre. Bon ! Courage ! Il faut y aller.

« Pardon, mademoiselle. Excusez-moi de vous déranger, mais auriez-vous l’obligeance de puiser de l’eau pour moi ?

– Euh… oui… si vous voulez… »

Bien ! Celle-là, au moins, elle ne m’a pas envoyé bouler. Ouah ! Celle-ci qui arrive, elle est vraiment jolie ! Allons ! ça ne coûte rien d’essayer.

« Pardon, mademoiselle. Excusez-moi de vous déranger, mais auriez-vous l’obligeance de puiser de l’eau pour moi ?

– Bois, et je donnerai aussi à boire à tes chameaux »

Le chameau, quand il a soif, il s’enfile plus d’un hectolitre d’un seul trait. Éliézer en avait amené dix. Elle en a brûlé de l’huile de coude, la petite Rebecca !

Elle ignorait, bien entendu, qu’à cause de son dévouement exceptionnel, elle allait devenir princesse et donner la vie au peuple de Dieu en épousant Isaac, qui était plutôt beau garçon.

Imaginons que les choses se passent ainsi aujourd’hui.

Éliézer sirote une Leffe Ruby à la terrasse du café de Paris et regarde les gens aller et venir sur la place d’Armes, surtout les jeunes filles.

Non, il ne faut pas se fier aux apparences. Il est en plein travail, Éliézer. Isaac, son patron, l’a investi d’une mission de la plus haute importance : l’aider à trouver la femme de sa vie. Comme s’il ne pouvait pas aller la chercher sur Meetic, comme tout le monde ! Enfin !

Oh ! Vise-moi un peu celle-là, comme elle est mignonne.

« Eh ! Mademoiselle ! Mademoiselle ! Tu m’invites à l’Escargot ?

– Même pas dans tes rêves !

– Allez ! ne fait pas ta bêcheuse ! »

Tiens ! Celle-ci m’a l’air plus sympa.

« Eh ! Mademoiselle ! Mademoiselle ! Tu m’invites à l’Escargot ?

– D’accord, mais c’est toi qui paies la boisson.

– Euh… oui… si tu veux, on fait comme ça. »

Une troisième fille vient à passer.

« Eh ! Mademoiselle ! Mademoiselle ! Tu m’invites à l’Escargot ?

– Pas de problème. Je t’invite, je paie le repas, l’apéritif, le Beaujolais, le café, le pousse-café, et toi, tu m’apportes la bague de fiançailles.

– Ouf ! Euh… en fait, ce n’est pas pour moi, c’est Isaac… »