ACTE III - le succès

Vingt ans plus tard (1860). Décor de l’acte II. L’atelier est orné de portraits. La toile de chez Casimir y est bien en vue.

Scène Première

LISE

Allons, ma fille ! Un peu de courage ! Comme si le ménage n’était pas suffisant pour mes deux bras ! Il faut nettoyer les pinceaux, laver les palettes, préparer les toiles. Comme s’il ne pouvait pas payer quelqu’un pour le faire ! Ce n’est pas l’argent qui lui manque, mais il est près de ses centimes, le grand maître. En épousant un artiste célèbre, je m’attendais à une autre vie que celle-là : une vie mondaine qui me mettrait en valeur. J’aurais pu fréquenter la noblesse, rencontrer d’autres artistes, des musiciens, des poètes. Oh oui ! J’aurais tant aimé faire la connaissance de Victor Hugo ! Et Berlioz ! On dit qu’il a fort mauvais caractère, mais j’aurais su l’amadouer par ma gentillesse. Hélas ! Quand mon mari va au-devant de ces grands hommes pour les persuader de se faire peindre par ses soins, moi, je reste à la maison, et j’astique ses pinceaux. Ah ! Que n’ai-je écouté ma mère ! Elle me disait de ne pas lui donner si promptement ma main, de sonder d’abord la profondeur de ses sentiments. C’est ce qu’elle me disait. Mais j’étais si jeune ! Dix-sept ans ! On ne réfléchit pas à cet âge-là. On tombe amoureuse et on se précipite sur la brèche, et te voilà mariée au Rembrandt des temps modernes ! Quel honneur et quel bonheur !

Et toi ? Continueras-tu longtemps à me regarder comme si tu ne m’avais jamais vue ? Est-ce que tu veux mon portait ? En Psyché, en Athéna ou en Cléopâtre ? Je trouve une certaine convoitise dans ton regard, et cela me déplaît. Espèce de vieux cochon ! Si tu étais un buste, plutôt qu’un portrait, tu aurais tâté de mon revers.

Cessons de rêver, ne traînons pas, ces messieurs et dames ne vont pas tarder. Qui est attendu aujourd’hui ? Un général, une marquise, un écrivain, mais ce n’est pas Victor Hugo ; un musicien, mais ce n’est pas Hector Berlioz. En vérité, ce sont des gens médiocres qui s’imaginent qu’en étant peints par mon Félix, ils deviendront célèbres.

(Entre le général Dourquinat, en uniforme de parade.)

Scène II

LISE – DOURQUINAT

DOURQUINAT

Bonjour m’dame. J’ai rend’vous avec maît’ Flix Leclantaud pour m’faire tirer l’portrait. C’bien ici ? Spavré ?

LISE

Spavré ?

DOURQUINAT

J’veux dire : J’ai rend’vous avec maît’ Flix Leclantaud pour m’faire faire l’portrait. C’bien ici ?

LISE

Oui ?

DOURQUINAT

Spavré ?

LISE

Euh… oui. Je suis Lise Lecléantaud, sa secrétaire, sa comptable, son accessoiriste, sa cuisinière, sa femme de ménage et, accessoirement, sa femme tout court.

DOURQUINAT

Enchanté. J’suis le gén’ral Dourquinat, quatrième d’vision de rtillerie. Belle journée, spavré ?

LISE

Bien sûr.

DOURQUINAT

Au service d’l’emp’reur et fier d’le servir ; vive la France et vive l’emp’reur !

LISE

Vive l’empereur !

DOURQUINAT

Suis m’litaire, prêt à m’rir pour ma patrie. Spavré ?

LISE

Qui parle de mourir ? Nous sommes en paix avec nos voisins, spavré, Euh… N’est-ce pas ?

DOURQUINAT

Pas pour longtemps. Ces Prussiens, y nous préparent un sale coup, spavré ? J’vois d’ici que dans dix ans ils viendront n’d’sputer l’Alsace, et même la L’raine. Y commencent à s’nerver sous leurs cacsapointes. Spavré ?

LISE

Sans doute.

DOURQUINAT

Mais y trouveront à qui parler. N’s avons construit un mur autour d’Paris pour les emp’cher d’rntrer, y r’partiront zurück nach Hause, tout péteux. Spavré ?

LISE

En effet.

DOURQUINAT

L’maître y s’ra-t-y bientôt ici ?

LISE

Il devrait arriver d’une minute à l’autre ?

DOURQUINAT

Mais j’voudrais pas l’presser ; l’art prend tout s’temps. Spavré ?

(Entre la marquise de la Tronche-Bobine.)

Scène III

LISE – DOURQUINAT – La MARQUISE

La MARQUISE

Bonjour madame.

LISE

Madame.

La MARQUISE

Je suis bien chez le fameux maître Félix Lecléantaud, l’étoile qui monte au firmament des artistes ? Hu ! hu ! hu !

LISE

Oh ! N’exagérons rien.

La MARQUISE

Mais non ! Jacques Landrieux a encore écrit sur lui un des articles élogieux dont il possède le secret. Le plus grand portraitiste de tous les temps. Hu ! hu ! hu !

LISE

Et je suppose que vous venez vous faire portraiturer par le plus grand portraitiste de tous les temps.

La MARQUISE

Évidemment. Hu ! hu ! hu ! Je suis la marquise Ursule, Agnès, Georgine de la Tronche-Bobine.

LISE (retenant un fou rire)

Tronche-Bobine ! Que voilà un nom prestigieux ! Moi, je suis plus humblement Lise Lecléantaud de Villampuy.

La MARQUISE

De Villampuy ? Vous appartenez donc à l’aristocratie artistique ? Hu ! hu ! hu !

LISE

Je suis issue d’une noble famille beauceronne, et je suis l’épouse du maître. Et savez-vous ce qu’on dit des beauceronnes ?

La MARQUISE

Ma foi, non. Je crois que vous avez l’esprit fertile en anecdotes. Hu ! hu ! hu !

LISE

On dit : quand un Beauceron a une fille laide et irascible, il trouve toujours à la marier à un Solognot.

La MARQUISE

Pourquoi donc ?

LISE

Parce que la Beauce est un pays riche et la Sologne un pays pauvre.

La MARQUISE

Très amusant ! Hu ! hu ! hu !

(Entre Félix.)

Scène IV

LISE – DOURQUINAT – La MARQUISE – FÉLIX

LISE

Le colonel Spavré et la baronne de la Tronche-Quiglousse sont arrivés.

DOURQUINAT

Gén’ral, s’y ou plaît.

La MARQUISE

Pareil pour moi : marquise.

FÉLIX

Je vous remercie d’être si ponctuels. Nous allons pouvoir commencer. J’attends encore un troisième client : le célèbre poète Eugène Duquatrain.

LISE

Un poète ! Un vrai poète, dans cette maison ! J’en suis tout excitée.

(Entre Duquatrain.)

Scène V

LISE – DOURQUINAT – La MARQUISE – FÉLIX – DUQUATRAIN

DUQUATRAIN

Je suis Eugène le poète,
Et j’ai des rimes plein la tête.
Maître, je suis heureux de vous voir.
Vous êtes mon espoir.

LISE

Tout bien pesé, ce n’est pas Victor Hugo.

DUQUATRAIN

Avez-vous lu mon dernier recueil ?
Vous y feriez bon accueil.

FÉLIX

Ce sera une joie de le lire.

DUQUATRAIN

J’y ai mis toute ma lyre.

LISE

Quel délire !

DOURQUINAT

N’zallons bientôt c’mencer, spavré ?

La MARQUISE

Vous ignorez les bonnes manières. Les dames doivent passer d’abord. Hu ! hu ! hu !

DOURQUINAT

Mais j’suis ar’vé l’premier, spavré ?

DUQUATRAIN

Inutile de nous quereller,
Car Jésus-Christ a dit
Sans contredit
« Les premiers seront les derniers. »

LISE

Et ces rimes à trois sous la mégatonne !

DOURQUINAT

L’a d’ça, Jésus ?

La MARQUISE

Dans les Évangiles. Hu ! hu ! hu !

FÉLIX

Bien, ne perdons pas notre temps, car le temps d’un artiste est précieux. Je suis capable de peindre trois toiles en même temps : je suis polygone.

LISE

Polygone, mon chéri ?

DOURQUINAT

S’n art a plusieurs côtés, spavré ?

La MARQUISE

Il peint plusieurs toiles en même temps sans s’emmêler les pinceaux. Hu ! hu ! hu !

LISE

Polychrone.

DOURQUINAT

C’est ski v’lait dire, spavré ?

FÉLIX

Bien ! Assez discuté. Mon Général, prenez ce siège. Madame la Marquise, asseyez-vous là. Monsieur Duquatrain… Je n’ai plus de chaise. Eh bien ! Restez debout. Un portrait en pied ce n’est pas mal non plus. Prenez la pause qui vous convient. Mon génie fera le reste.

La MARQUISE

Madame, vous n’auriez pas un éventail ?

LISE

Pour quoi faire ?

La MARQUISE

Pour poser avec un éventail. Une marquise posant sans éventail, ça ne peut pas se faire ? Hu ! hu ! hu !

FÉLIX

Lise, ma chérie, va me chercher un éventail pour madame la marquise.

DOURQUINAT

’Tendez ! J’ajuste ma f’ragère.

(Lise revient avec un éventail.)

FÉLIX

Tout le monde est en place ? On ne bouge plus. À vos marques. Prêts ?

LISE

Partez !

(Félix peint les trois tableaux à la fois avec une rapidité surprenante.)

FÉLIX

Ne bougez pas comme ça, mon Général, sinon le portrait sera flou.

DOURQUINAT

C’est que j’m’ank’lose à rien faire. Suis un homme d’action, spavré ?

FÉLIX

Vous n’êtes pas à ne rien faire, vous posez pour la gloire.

(Au bout d’un certain temps.)

Encore un peu de patience ! C’est presque fini.

DUQUATRAIN

Déjà ?

FÉLIX

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Repassez demain pour les finitions, vous n’oublierez pas le tarif : trois mille francs pour chacun. Et vous emportez la marchandise.

DUQUATRAIN

Marchandise !
Une œuvre d’art, quoi qu’on en dise,
Gouache ou aquarelle
Se monnaie-t-elle ?

LISE

Et le hiatus est en prime !

FÉLIX

Je vous remercie de votre participation et vous souhaite une bonne journée.

La MARQUISE

À vous aussi. Hu ! hu ! hu !

(Le général, la marquise et le poète s’en vont.)

FÉLIX

Lise, quels sont les prochains clients ?

LISE

Le Juge Duparquet, le cardinal Goupillon et monsieur Siladorey, conducteur de l’orchestre philharmonique. Ils devraient être ici dans une petite heure.

FÉLIX

Parfait. J’ai le temps de souffler un peu et de recharger mon inspiration.

(Il s’affale sur un divan et s’endort. Entre Martignac.)

Scène VI

LISE – FÉLIX – MARTIGNAC

MARTIGNAC

Bonjour Lise. Je profite d’une affaire dans le quartier pour voir ton mari, mais je ne voudrais pas le déranger.

LISE

C’est qu’il est en plein travail.

MARTIGNAC

En plein travail ? Je vois ça. On l’entend ronfler depuis la Porte Dauphine.

FÉLIX (Il parle en dormant.)

Mes respects, mon Général… Hu ! hu ! hu ! Mes hommages, madame la Marquise. Le jaune vous va à ravir, spavré ? Souffrez que j’ajoute une pointe de bleu sur vos paupières…

LISE

Félix, réveille-toi. Regarde qui nous rend visite.

FÉLIX (se réveillant)

Garde-à-vous ! Euh… Quoi ? Comment ? Sur quelle planète habité-je ? Dormé-je ? M’éveillé-je ? Paul ! Quelle bonne surprise !

LISE

Excusez-le. Il n’arrête pas. Il a beau augmenter ses tarifs, les gens sont prêts à se ruiner pour avoir leur portrait. Il vient d’achever un général, une marquise et un poète…

MARTIGNAC

Achever un général ?

LISE

Je veux dire : achever le portait d’un général. Et savez-vous combien de temps cela lui a pris ?

MARTIGNAC

Pour faire un bon portrait, en travaillant seulement deux heures par jour, il faut au moins une bonne semaine.

LISE

À peine une heure pour les trois. Et ce n’est pas fini. Son carnet de commandes est saturé jusqu’à la fin de l’année.

MARTIGNAC

C’est le Stakhanov de la peinture.

LISE

Pardonnez mon ignorance, mais qui est donc ce Stakhanov ?

MARTIGNAC

Il n’est pas encore né, mais nous autres artistes, nous sommes des visionnaires.

LISE

Je vois ça.

MARTIGNAC

Tu as trouvé ta voie et ton style, mais tout cela, comment dire… Je ne voudrais pas t’offenser… Tout cela transpire la précipitation. Il vaut mieux n’avoir peint qu’une seule toile et qu’elle fut un chef d’œuvre, plutôt qu’en peindre mille qui soient bâclées comme celle-ci, par exemple, ou celle-là… Quelle indigence d’expression sur ces visages ! Comme tout cela se ressemble ! Quelle banalité ! Tu courais si bien, qui t’a donc arrêté ?

FÉLIX

Tu trouves que je ne cours pas assez vite ? Que faut-il de plus ?

LISE

Maître, il fait le comprendre, il est littéralement harcelé, et les clients n’ont pas de patience. Pas question de leur faire tenir dix séances, deux ou trois tout au plus, et exigeants avec ça ! Les élégantes veulent ressembler à la Vénus de Botticelli, les hommes d’Église veulent ressembler au pape, les poètes veulent ressembler à Lord Byron, les musiciens à Franz Liszt…

FÉLIX

Mais non, tu n’y es pas du tout, ma chérie ! Tiens ! Va donc voir en cuisine si j’y suis, et prépare un bon thé à notre ami.

LISE

Évidemment ! Les femmes n’y connaissent rien, ni à la peinture, ni à la musique. Heureusement qu’elles sont virtuoses en matière de fourneaux et de serpillières !

(Lise sort, elle ne reviendra que pour servir le thé et ressortira aussitôt.)

Scène VII

FÉLIX – MARTIGNAC

MARTIGNAC

Parlons sérieusement, Félix, que penses-tu de ta carrière ?

FÉLIX (à part)

Ma carrière ? En quoi cela le concerne-t-il ? Je n’ai plus l’âge de retourner sur les bancs de l’école publique. Je suis mon propre maître, à présent. Je n’ai plus de leçons à recevoir depuis longtemps, c’est plutôt à mon tour d’en donner.

(à Martignac)

Ma carrière ? Qu’entends-tu par-là, exactement ?

MARTIGNAC

Eh bien ! Ta carrière. Comment t’es-tu épanoui dans ton art ? Comment le ressens-tu ?

FÉLIX

Comment je le ressens ? J’ai toutes les raisons d’en être satisfait, tu ne crois pas ? J’ai du succès. Même les plus grands maîtres ne se sont pas épanouis autant que moi dans la peinture. Tous les préraphaélistes n’ont jamais peint que des écorchés. Raphaël lui-même n’a pas toujours été excellent et l’on a bien surévalué ses mérites. Quant à Michel-Ange, son œuvre est totalement dépourvue de grâce. Il ne vise qu’à étaler sa science de l’anatomie. Je suis au regret de le dire, mais je le tiens pour un fanfaron. Heureusement, la peinture moderne a balayé tout ce pédantisme[1]. Moi, par exemple, je reçois directement l’inspiration d’en haut et mon pinceau court sur la toile avec la même grâce, la même agilité qu’une patineuse sur la glace. C’est pourquoi je suis fécond…

MARTIGNAC

Comme un lapin.

FÉLIX

L’heure n’est pas à la raillerie. Je ne comprends pas les artistes qui se vantent d’avoir pris cinq ans pour une toile de trois mètres carrés. Ces gens-là n’ont pas d’inspiration, ce sont des écoliers ou bien des amateurs. As-tu vu avec quel zèle et quelle vélocité j’ai expédié ce général et cette marquise ?

MARTIGNAC

Le Paganini du pinceau.

FÉLIX

Ce ne sont que les premières gammes qui précèdent le grand concert.

MARTIGNAC

Ton talent a-t-il porté du fruit ?

FÉLIX

S’il a porté du fruit ? Comment donc ! Tu avais raison, ce talent m’est venu du Ciel. Quand je revois les jours de ma jeunesse où je crevais la paillasse dans ma mansarde crasseuse de Montmartre ! Et maintenant, me voilà plein d’écus à n’en savoir que faire ; tout cela grâce à mon génie. Je vends pour au moins dix mille francs la semaine, et je place tout cela en bourse, et j’achète des lingots à la brouette, et l’or, c’est un bon placement, tu devrais essayer.

MARTIGNAC

Les vrais artistes n’ont que faire de l’or. L’art n’est pas un métier, encore moins un businesse, comme disent si bien les mangeurs de pop-corn. L’art, c’est un apostolat, c’est un sacerdoce. Il impose de nombreux sacrifices, mais il nous transporte au Walhall de la félicité. Je n’ai peut-être pas les moyens d’acheter un lingot tous les mois, mais ma richesse, je la trouve dans mon cœur.

FÉLIX

Selon toi, la misère est un signe de richesse ?

MARTIGNAC

Un jour, le maître reviendra et te demandera : « Qu’as-tu fait de ton talent ? »

FÉLIX

Mais, je te l’ai dit : je l’ai placé en bourse. N’est-ce pas ce que voulait le maître de la fameuse parabole ?

MARTIGNAC

Il s’agit d’un autre talent. Je te parle de carottes et tu me réponds chou-fleur. Laissons-la cet entretien qui s’enlise comme une calèche sur la dune et venons-en à l’objet de ma visite. As-tu quelque exposition en vue ?

FÉLIX

Des expositions ? Je n’arrête pas. Un peintre reconnu tel que moi ! Les galeries se battent pour m’avoir. Je suis même obligé, à mon grand regret, de refuser des propositions.

MARTIGNAC

J’en étais sûr, et dans ce cas, j’aimerais te demander un petit service.

FÉLIX

Si je puis t’être utile.

MARTIGNAC

Tu connais certainement mon ami Camille.

FÉLIX

Camille ? Oui, tu m’en as déjà parlé, mais je ne l’ai jamais rencontré.

MARTIGNAC

Ce serait une occasion de faire sa connaissance. Camille, qui nous revient d’un long voyage en Italie, est un homme bien sympathique, et un peintre remarquable.

FÉLIX

Je n’en doute pas.

MARTIGNAC

Mon ami est, tout comme moi, disciple de l’Académie Suisse, c’est là que nous nous sommes connus.

FÉLIX

Tu as donc étudié la peinture à Genève ? Je l’ignorais.

MARTIGNAC

Pas si loin ! Au quai des Orfèvres. Son fondateur s’appelait Schweitzer et il a francisé son nom. Je suis convaincu que Camille n’est pas estimé selon sa juste valeur et que le public le considère à tort comme un amateur. Pourquoi faut-il que les génies ne soient reconnus qu’après leur mort ? Toujours est-il que cet ami qui m’est cher mériterait quelques miettes de notoriété, aussi, je te demande comme une faveur de réserver un emplacement pour une toile qu’il vient d’achever.

FÉLIX

Il lui a fallu combien de temps pour la faire ?

MARTIGNAC

Voyons, Félix ! Le temps ne fait rien à l’affaire.

FÉLIX

Rassure-moi : elle ne mesure pas six mètres sur dix, cette toile ?

MARTIGNAC

Non, non, ses dimensions sont tout à fait proportionnelles à la modestie de son auteur.

FÉLIX

Alors, c’est entendu. Dans deux mois, j’aurai une magnifique galerie au château de Vincennes, un fabuleux décor médiéval pour un fabuleux artiste ! Je serai fort heureux d’accueillir ton ami Camille avec sa toile. Il pourra même en apporter deux ou trois. Je lui ferai de la place.

MARTIGNAC

Un seul emplacement lui suffira. Je n’en attendais pas moins de ta gentillesse.

 

[1] Même remarque que pour Acte II, scène III

 

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