Grain de riz

Au milieu de la nuit je fis ce rêve étrange :
Un mendiant couché sur la rive du Gange, 
Tendant sa maigre main, réclamant quelque argent.
Les hindous ne sont pas de misérables gens.

 

Il n’avait pour seul toit qu’une humide masure ;
Fenêtre sans rideau et porte sans serrure.
Contre le froid, le vent, c’était son seul abri.
À ses pieds il gardait une poche de riz.

 

Que faut-il espérer ? Lamentable existence !
Il espérait pourtant : bientôt viendra la chance.
Un jour, il le croyait, le bon maharajah
lui porterait secours. Il le voyait déjà.

 

Chaque jour, il attend, il rêve, il persévère.
Le prince aura pitié de sa sombre misère.
« On dit que ce seigneur est un roi généreux,
Par un don de sa grâce il va me rendre heureux. »

 

Or, un matin d’été, agréable journée,
Le roi vint à passer, heureuse destinée !
Il vit le paria, baissa sur lui les yeux.
« Ce jour est arrivé, bénis soient tous mes dieux ! »

 

Le vieillard attendait depuis maintes années,
Il tend vers le monarque une main décharnée.
« Ayez pitié, bon prince ! Dit-il au souverain,
D’un pauvre homme brisé par la soif et la faim ! »

 

Le cœur plein de pitié face à ce pauvre hère,
Le prince compatit : quelle atroce misère !
Il dit au mendiant épuisé de jeûner :
            « N’as-tu rien à me donner ? »

****

« Que la noire Kali me renaisse en cloporte !
Je n’en crois mes oreilles, cette histoire est trop forte !
Il a des éléphants, des palais, des cornacs,
Moi, je n’ai pour costume qu’une corde et qu’un sac,
Le fumier pour soulier la cendre pour couronne.
Il me demande, à moi, de lui donner l’aumône !
Est-ce ainsi qu’on agit quand on est grand seigneur ?
Le bon maharajah n’a-t-il donc point de cœur ? »

 

Comme par cruauté, le monarque égoïste
Presse le mendiant, il le charge, il insiste :
« N’as-tu rien à donner en offrande à ton roi ?
– Que pourrais-je t’offrir, car je n’ai rien à moi ? »

 

Alors, au désespoir, sans un mot de reproche,
Il tire un grain de riz du profond de sa poche,
Il le tend vers le prince : « Mon présent, le voici. »
Le grand rajah le prend, s’en va sans un « merci ».

****

« Hélas ! Quelle infortune ! Hélas ! Quelle aventure !
Quelle leçon tirer de ma déconfiture ?
Mais, quelque chose brille au milieu de mon riz.
C’est un grain tout en or. Quel méprisable prix !

 

Ah ! Que n’ai-je donné toute ma nourriture ?
Paria méprisé, infecte créature,
Il m’aurait fait le don d’un sac de riz en or ;
De fourrure et de soie je couvrirais mon corps.

 

Oui, pour un peu de riz, si j’eus quelque sagesse,
Je tiendrais dans mes bras le pouvoir, la richesse.
Si j’avais reconnu ce généreux seigneur,
Je vivrais pour toujours à l’abri du malheur. »

****

Et toi, qu’offriras-tu au Prince de la vie ?
À lui donner ton cœur le maître te convie.
Veux-tu par quelques miettes, le traiter comme un chien ?
Donne-toi tout entier qu’il te comble de biens.