Quatrième tableau

La campagne en pleine tempête. Le traîneau de Vladimir a versé. Vladimir, avec son cheval épuisé tente d’atteindre une isba isolée.

Scène Première

VLADIMIR

Voyageur égaré dans ce désert troublant ;

Le ciel est bleu, l’enfer est blanc !

Ai-je attiré sur moi la colère divine ?

La neige envahit ma poitrine

Et ses sournois flocons

S’introduisent dans mes poumons.

Cruauté de la nature !
Impitoyable froidure !

Aveugle au milieu de la nuit,
Pour me diriger aucun bruit.
Il faut avancer quoi qu’il coûte

Et retrouver ma route.

Je marche, égaré, comme un fou,

Enneigé jusqu’aux genoux.

Ma jument se traîne, épuisée,
Fourbue dans la neige, harassée.

Je n’atteindrai jamais Jadrino ;

Déjà trois fois versa mon traîneau.

Et Macha, bien au chaud dans l’église,

D’une impatiente gourmandise
Déguste quelque friandise

Au milieu des parfums et des fleurs.

Mais quelle est cette lueur ?
Une sombre silhouette.
Allons ! relève la tête !

Cette forme, là-bas,

C’est une isba.

À quoi bon te plaindre,

Un effort, il faut l’atteindre.

On y brûle un bon feu de bois
Et je meurs, brisé par le froid.

(Vladimir atteint la maison. Il frappe. Un moujik lui ouvre.)

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Scène II

VLADIMIR – Un MOUJIK

Le MOUJIK

Est-ce un temps à jouer dehors ? Entrez donc avant d’être changé en statue de glace.

VLADIMIR

Merci, je voudrais profiter de votre feu, avant de reprendre la route.

Le MOUJIK

Un bon feu pour vous réchauffer l’extérieur et un bon pichet de vodka pour vous réchauffer l’intérieur.

VLADIMIR

Merci, l’ami. Je ne désire qu’un peu de feu, le temps de reprendre des forces, et puis je repartirai.

Le MOUJIK

Repartir par ce temps ? Ce n’est pas raisonnable. Restez dormir chez moi, la tempête finira bien par se calmer.

VLADIMIR

Je dois repartir. C’est très important pour moi.

Le MOUJIK

Comme vous voudrez.

VLADIMIR

Sommes-nous loin de Jadrino ?

 

 

Le MOUJIK

Jadrino ? Non, c’est tout près d’ici. Une dizaine de verstes.

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VLADIMIR

Pauvre de moi ! Suis-je maudit ?
Je n’y serai qu’après midi
Et Macha, que deviendra-t-elle ?
Elle aura fui, ma tourterelle
Et me traitera d’infidèle.

 

Il faut marcher, marcher encor.
Avant demain je serai mort
Sans forces et sans nourriture.
Mon Dieu, quelle mésaventure !
Moujik, prête-moi ta voiture.

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Le MOUJIK

Prêter ma télègue et mes chevaux à un inconnu, vous n’y songez pas ! Qui me dit qu’ils me seront rendus ?

VLADIMIR

Alors, conduisez-moi. Je le répète, c’est très important pour moi.

Le MOUJIK

Non, je regrette. Attendrez que la neige ait fini de tomber et passez la nuit chez nous. Vous y trouverez un bon lit de plumes et une bonne couverture de fourrure.

VLADIMIR

Cent roubles sont pour vous si vous me conduisez immédiatement à Jadrino.

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Le MOUJIK

Pour cent roubles bien pesés
Entre gens civilisés
Nous sommes clairs en affaires,
C’est conclu, mon petit père :

Je vous dépose avant le chant du coq
À Irkoutsk, même à Vladivostok.

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