Chapitre XXIV - Un dilemme

La nuit sinistre enveloppe Séquania. Dans une rue étroite se profile une silhouette inquiétante, probablement celle de quelque sicaire enveloppé d’un long manteau. Le présumé brigand passe devant une des rares échoppes encore éclairées. Un lumignon blafard dévoile, l’espace d’une seconde, un visage masqué d’un voile noir, ne laissant paraître que ces yeux, de redoutables yeux turquoise, aiguisés comme des poignards : les yeux de la reine. Éliséa garde son arc sous son ample cape, de quoi la sécuriser en cas de rencontre avec un sicaire. Elle disparaît dans une ruelle et frappe à une porte. C’est Maurice qui lui ouvre précipitamment.

« Entre vite ! On ne t’a pas vue au moins ?

– Si l’on m’a vue, on ne m’a pas reconnue. »

Que de précautions !

La date de la Saint-Barthélemy Séquanienne ainsi que celle de l’exécution de Maurice avaient été gardées secrètes, et pourtant… Le couple princier dispose d’un valet qui passe toutes ses soirées à la taverne. Cet homme, une fois bien rempli d’hydromel, s’improvise journaliste et raconte à qui veut l’entendre les petites francedimanchiades de la cour. C’est ainsi que le prince dut dire adieu à son effet de surprise. Toute la ville est au courant. Cette fuite eut pour effet d’irriter la princesse. Je préfère m’abstenir de tout descriptif et de tout narratif concernant les flagellations accompagnant les colères de Sabriana. Toujours est-il que l’ivrogne fut cruellement déchiqueté.

« Quitte la ville au plus vite, l’enjoignit Éliséa, tu sais comme ta vie est menacée. Fuis au plus loin d’ici, tu apprendras à vivre caché dans les bois, comme je l’ai vécu. Ce n’est pas si difficile. Je te laisse mon arc, il te rendra de grands services.

– Je n’ai pas besoin de ton arc, d’ailleurs, personne ne tire mieux que toi. Je resterai ici et je continuerai à narguer cette vieille grenouille gonflée d’air. Il en fera une crise d’apoplexie avant que je sois pendu, et d’ailleurs, quand on a Dieu avec soi, on ne fuit pas devant l’ennemi. »

Éliséa se blottit dans les bras de son cousin.

« C’est vrai que Dieu nous conduit, faut-il que je manque de foi !

– Quand même je serais pendu, je sais qu’une place nous est réservée à tous les deux dans le ciel, mais je crains pour notre peuple, les enfants d’Abraham, des milliers d’hommes et de femmes vont mourir, et des enfants, et des vieillards. Toi seule y échapperas, car personne n’osera porter la main sur la reine.

– C’est terrible ! soupira Éliséa.

– À moins que ce soit toi qui nous sauves tous. Dieu a des plans qui nous émerveillent. C’est pour cette seule raison qu’il a permis que tu parviennes à la royauté. Sauve-nous ! Va parler au roi, il t’écoutera, j’en suis sûr.

– Hélas ! Ce ne sera pas si facile. Tu sais comme moi qu’il ne m’est plus permis de paraître en présence du roi sans qu’il m’ait appelée ou qu’il m’ait tendu son sceptre. Malheureusement, il ne m’appelle plus auprès de lui depuis presque un mois. La raison n’est pas difficile à comprendre : le roi m’a oubliée dans les bras d’une courtisane. Mon mari a cessé de m’aimer, mais moi, je l’aime toujours. »

Un ruisseau de larmes coula sur la joue d’Éliséa. Maurice garda le silence. Il dit enfin.

« Je comprends que cette situation te soit pénible, mais ce péril doit saper les remparts de nos sentiments. Il faut que tu ailles parler au roi.

– Enfin, tu ne comprends donc pas ? Si j’entre dans la chambre du roi sans sa permission, je serai décapitée. C’est pourtant ma chambre, à moi aussi. »

La jeune reine pleura longtemps sur l’épaule de son cousin. Elle essuya enfin ses larmes.

« À quoi me sert-il de vivre, après tout ? Je ne suis qu’une reine déchue. Ma vie n’a plus aucune valeur, mais si ma mort pouvait sauver notre peuple, elle aurait été utile. »

 

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