Chapitre XXIX - La Grotte

« Nous n’avons que trop tergiversé, disait Lynda. Grâce aux veilleurs et aux lecteurs, la lumière retrouvera bientôt sa place en France et dans le monde. Maintenant, nous devons délivrer Zoé. C’est notre priorité, d’autant plus qu’O’Marmatway et sa complice doivent être furieux. Ils risquent de se venger en exécutant notre amie.

– Où peut-elle se trouver ? demanda Julien. Helmut prétend qu’ils la déménagent toutes les semaines. Si ça se trouve, ils l’ont embarquée à Sydney ou à San Francisco.

– Nous n’avons malheureusement qu’une seule piste, le naufrage du fer à repasser, précisa Éva.

– En effet, conclut Lynda. C’est le seul endroit où nous pourrons trouver des indices. Que Dieu nous guide. »

Une carte d’état major et une vue satellite furent étalées sur la table :

 

« Voici l’endroit où la Fiat s’est abîmée. Félixérie a pu suivre Judith jusqu’à cette petite crique, en face. Il doit y avoir un passage secret. Nous allons le trouver. Félixérie, es-tu sûre que tu ne veux pas d’arme à feu ? Nos adversaires en ont certainement.

– Eh bien, toute réflexion faite…

– Alors allons-y ! Elvire, tu es une bonne tireuse, tu viens avec nous.

– Mais je ne sais pas plonger.

– Tu resteras au bord.

– À quoi ça nous avance ?

– On ne peut pas laisser les militaires s’en débrouiller ? fit remarquer Julien. Après tout, les interventions, c’est leur métier.

– Cela mettrait la vie de Zoé en danger. Eux, ce sont des bourricots : ils foncent dans le tas sans réfléchir. Moi, quand je vais déplanter les dents de cet O’Marmatway une par une, je ferai ça en finesse.

– Je vois ça d’ici, dit Éva. Tout en douceur. Le pinceau à trois poils pour lui rectifier le portrait ! »

Julien formula l’ultime remarque.

« Ce qui me désole, dans cette affaire, c’est qu’Éva et moi, nous ne sommes pas très sportifs et nous ne sommes pas des tireurs d’élite. Nous allons rester les deux pieds dans le même sabot à vous attendre.

– Comment ça, les deux pieds dans le même sabot ? C’est vous deux qui avez la mission la plus importante. Vous allez vous mettre à genoux et prier jusqu’à ce que je revienne avec Zoé ! »

Trois hommes-grenouilles, ou plutôt un homme et deux femmes-grenouilles, Sigur, Lynda et Félixérie, évoluaient autour de l’épave de la Fiat 500, puis s’éloignèrent en direction de la falaise.

Restée seule, Elvire s’engagea dans la végétation, courbant son corps pour se cacher derrière les arbustes, elle progressait sans bruit. La maison n’était plus qu’à une centaine de mètres. Éloignée de toute voie de communication, cachée à la navigation par une calanque étroite, elle échappait à la vue des conducteurs et des randonneurs. Voici notre jeune espionne parvenue à la grille. Tel un félin, elle contourne la propriété sans aucun bruit, à la recherche d’une brèche.

Sigur fait un signe de la main. Qu’a-t-il trouvé ?

Un filet de camouflage tombe en cascade le long de la roche. Nos trois plongeurs se glissent derrière lui et ne tardent pas à s’enfoncer dans une fissure. Une longue galerie, parfois juste assez large pour laisser le passage au plongeur avec son équipement.

« Je n’aime pas trop ça. C’est un coup à rester coincé, » pense Sigur.

Félixérie a un bon argument pour se rassurer :

« La grande Judith est bien passée, je ne suis pas plus grosse qu’elle ! »

Le trio évolue dans cet interminable boyau. Maintenant, chacun pense à sa ration d’oxygène.

« Si ça continue comme ça sur trois kilomètres, je sens qu’on va avoir des problèmes. »

À nouveau, Félixérie trouve une réponse à son inquiétude :

« La Juju y est bien arrivée, avec son appareil bousillé par mes soins ! »

Heureusement, l’incertitude exagère l’impression de distance. Au bout de deux à trois cents mètres de nage en eau trouble, nos amis rejoignent la surface dans une sombre caverne agrémentée d’une petite plage de terre noire.

« C’est mignon, par ici ! Je crois bien que j’y reviendrai pour mes prochaines vacances.

– Et maintenant, où est-ce qu’on va ?

– Il y a suffisamment d’air et de lumière. Il doit bien se trouver une ouverture quelque part.

– Oui, là-haut ! Une cheminée !

– Grimper tout là-haut ! Sans équipement !

– Pas de quoi s’énerver ! Nous ne sommes pas plus cruches que la Judith, et elle y est bien arrivée ! »

Abandonnant palmes, masque et bouteilles, nos plongeurs, devenus spéléologues et bienvenus malgré eux dans l’univers souterrain de Blake et Mortimer, entament une pénible ascension et parviennent, non sans sueur, sur une plate-forme.

« Nous ne sommes pas sortis de l’auberge !

– Je préférerais vraiment que cet endroit soit une auberge. »

En effet, nos compagnons étaient bloqués. Les parois, verticales et glissantes, n’offraient aucune prise d’escalade.

« Je suppose que Judith avait son matériel dans la grotte, pour continuer à monter, mais nous n’avons que nos pieds et nos mains.

– Dans ce cas, nous aurions trouvé des traces de pitons sur la paroi. Cherchons encore. »

Sigur trouve cette situation frustrante :

« S’être donné tout ce mal pour finir coincés ici ! Il y a de quoi rugir de rage !

– Eh bien ! rugis, Sigur ! » rétorque son amie sans remarquer le palindrome.

Elvire, de son côté, n’est pas plus avancée. Elle est en train d’explorer le mur de pierre surmonté de tessons quand un coup violent à la base de la nuque l’abasourdit et la précipite à terre.

Elle retrouve rapidement ses esprits et se redresse avec peine. Campé face à elle, l’homme cagoulé qui l’a frappée la menace d’un pistolet. Elle fouille l’herbe pour retrouver le sien. Une balle frappe le sol, manquant de peu de lui transpercer la main.

« Ne fais pas l’idiote, ma jolie. Si tu es bien gentille, je ne te ferai pas de mal. »

Sans prendre le temps de répondre, Elvire lui décoche un violent coup de pied sous le bassin. Ce n’est pas très sportif, mais justifié par l’urgence de la situation. L’adversaire, terrassé par la douleur, tente de retrouver son souffle. Elvire reprend son arme. L’homme cagoulé se remet vite de ses émotions. Il ramasse son pistolet et s’apprête à tirer quand une balle en percute le canon et l’envoie voler au loin.

« Tu fais déjà moins le malin ! Alors, si tu ne veux pas que je te plante une balle entre les deux yeux, tu vas commencer par répondre à mes questions : est-ce que tu travailles pour O’Marmatway ?

– Non, pour Barak Obama.

– Mauvaise réponse. »

Elvire tire. Le bandit pose la main sur sa tête et la retire. Elle est baignée de sang. La balle n’a pourtant fait que déchirer le cuir chevelu sans toucher l’os. Plus de peur que de mal pour notre ami.

« Ce n’est vraiment pas malin ! Je repose ma question, et tâche d’y répondre intelligemment, sinon, je pourrais devenir maladroite et tirer un petit poil trop bas. Pour qui travailles-tu ?

– D’accord, d’accord… on se calme… Vous êtes une tireuse exceptionnelle. Je vais vous dire pour qui je travaille : pour Vladimir Poutine.

– Tu l’auras voulu. »

Avant qu’elle ait tiré une deuxième balle, un coup de matraque la mit hors de combat. Deux complices, également cagoulés, s’étaient glissés sans bruit derrière elle.

Pendant qu’Elvire, assommée, pieds et poings liés, est menée dans la sinistre villa, Lynda et ses deux acolytes inspectent toujours la caverne, à la recherche d’un passage secret.

« Eurêka ! s’écrie-t-elle.

– Qu’as-tu eurêké ?

– Là, bien caché dans l’ombre : un boîtier, et sous le couvercle, un digicode. »

Un écran affiche les mots :

« Entrez les sept chiffres de votre code. »

« Tu le connais, toi, le code ?

– Non. 

– Attendez ! dit Sigur, puisque ce cuistre d’O’Marmatway se prend pour la Bête de l’Apocalypse, je suis prêt à parier qu’il y a 666 dans ce fameux code.

– Oui, mais il nous manque encore quatre chiffres, cela fait une belle flopée de combinaisons !

– Voyons, à quoi l’associer logiquement, ce triple 6 ? La référence : est-ce que quelqu’un s’en souvient ?

– Attend, je fouille dans mon petit cerveau, dit Félixérie. Je l’ai lu récemment, ça va me revenir : chapitre 13.

– Verset 18, précise Lynda.

– Comme vous mémorisez bien, les filles ! Allons-y ! Ça ne coûte rien d’essayer. »

Sigur compose 1318666.

Un voyant rouge s’allume, accompagné d’un signal strident.

« Bon, ce n’est pas ça. »

Au même instant, dans la villa, un feu orange, accompagné d’une alarme alternative, se met à clignoter.

Franck réagit en donnant une violente gifle à Elvire.

« Quelqu’un essaie de forcer le passage secret. Pendant que tu nous amusais en tournant autour de la maison, tes copains essaient d’entrer par les souterrains. C’est bien ça, petite vipère ?

– Ça se peut, en tout cas ce n’est pas impossible. »

Judith dégaine son redoutable couteau et en caresse de la pointe le visage de sa prisonnière.

« Elle est en train de se moquer de toi. Je vais lui en faire passer le goût. Dis-moi plutôt qui est là-dessous.

– Jules César et Cléopâtre. »

Elvire reçoit une deuxième gifle, cette fois de la main de Judith.

« Te fatigue pas, soupire Franck. Elle fait partie de la bande du Crucifié. Elle préférera encore se faire déchiqueter par les lions plutôt que dire quoi que ce soit.

– Alors emmenez-la, ordonna-t-elle à ses trois acolytes, en attendant que je lui trouve un lion pour la divertir. »

Elvire est aussitôt empoignée et jetée dans un sombre cellier. Une petite fille aux longs cheveux roux que nous connaissons bien semble l’y attendre.

« Zoé ? C’est bien toi ? Tu vas bien ? Ils ne t’ont pas trop maltraitée.

– Non, je n’ai pas à me plaindre. J’avais même droit à un régime de faveur dans cette maison, mais ils m’ont punie parce que Judith a poignardé Helmut et que je lui ai imposé les mains.

– Et tu l’as guéri ?

– Dieu l’a guéri.

– Bien sûr. Est-ce qu’il y a un fluide ou une onction dans tes mains.

– Absolument pas. Le contact est purement symbolique.

– Puisque tu as les mains libres, est-ce que tu ne pourrais me délier ? Je ne suis pas de Marseille, mais je serai tout de même plus à l’aise pour causer. »

Sigur compose 6661318.

« Ça ne va pas non plus.

– Essayons à l’envers. »

6663181

3181666

8131666

6668131

« Ce n’est pas gagné ! »

Nos trois amis s’assoient au sol, gagnés par le découragement. Félixérie a une idée.

« Ils ont peut-être intercalé les trois 6 dans la référence. »

Sigur essaie à nouveau :

1636168

Un voyant vert s’allume. Deux rochers s’écartent pour laisser le passage à notre petite troupe.

Dans la villa, l’alarme sonne en continu et la lampe orange a viré au rouge.

Franck abaisse un commutateur, le bruit cesse.

« Allez-y les gars ! Je les veux vivants. »

 

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