Chapitre XXV - Paris, ville ténèbres

Le Sylduria Force One s’arracha de l’aéroport d’Arklow.

Lynda aime tellement Paris qu’elle ne rate pas une occasion de déléguer ses fonctions royales à sa grande sœur et de décoller. Elle conduit ses deux amis vers la capitale française, accompagnés d’Aïcha qui s’était fait un peu oublier et qui commençait à s’ennuyer de son Momo d’amour.

Une immense falaise de brouillard noir ne tarda pas à paraître à l’horizon, plus menaçante à mesure que l’avion s’en approchait.

« Zoé avait vu juste ! s’écria Sigur. C’est le même phénomène qu’en Ligérie. »

L’appareil pénétra dans la masse avec un bruit sourd, comme lorsqu’on frappe avec un bâton une méduse échouée sur la plage. Je sais, quand j’étais petit, j’avais des jeux idiots.

« Vous avez entendu ? dit Lynda.

–  Ce n’est pas un nuage ordinaire : c’est palpable.

 

– Les gens arrivent à vivre là-dessous ?

– C’est peut-être moins compact en bas.

– Je n’ai jamais vu ça ! Les hélices brassent une espèce de mousse.

– Lynda, ne me dis pas que tu as peur !

– Je n’ai jamais peur quand Dieu m’accompagne. Prions. »

Ils prièrent en effet, puis décidèrent de prendre de l’altitude.

« Nous verrons bien quelle est l’épaisseur de ce machin-là. »

Lynda dégagea l’avion de la masse mystérieuse. Plus on s’éloignait de la Syldurie, et plus cette matière inconnue prenait la consistance d’un brouillard très noir et très épais. Thanatos, l’empereur des ténèbres avait donc tenu à protéger ses frontières.

Les voyageurs étaient émerveillés de ce qu’ils voyaient : sous leurs ailes, un océan d’encre noire, et un ciel de saphir au-dessus d’eux.

« Tu sais où on va ? demanda Aïcha.

– Ne t’inquiète pas. Il suffit de savoir se servir d’un GPS et je suis sûre d’atterrir sur le Champ-de-Mars.

– Ça ne me rassure qu’à moitié. »

Quelques heures suffirent pour amener l’avion au-dessus de Toussus-le-Noble.

« Sierra Yankee 7113 à tour de contrôle : demandons l’autorisation d’atterrir.

– Tour de contrôle à Sierra Yankee 7113 : autorisation refusée.

– Sierra Yankee à tour de contrôle : en quel honneur ?

– Tour de contrôle à Sierra Yankee : aucun avion ne décolle ni n’atterrit, à cause du brouillard.

– Sierra Yankee à tour de contrôle : Je fais quoi alors ?

– Tour de contrôle à Sierra Yankee : vous retournez à Arklow. C’est la seule piste d’Europe où on peut se poser.

– Sierra Yankee à tour de contrôle : je suis vraiment bien avancée !

– Tour de contrôle à Sierra Yankee : ce n’est pas mon problème.

– Sierra Yankee à tour de contrôle : je me passerai de votre avis. J’atterris.

– Tour de contrôle à Sierra Yankee : si vous vous cassez la figure, vous ne viendrez pas pleurer. »

« Il commence à me fatiguer, celui-là ! » soupira Lynda en coupant l’émetteur-récepteur.

Elle entreprit la manœuvre d’atterrissage. L’avion disparut dans le brouillard.

« Il a tout de même un peu raison, fit remarquer Félixérie, si tu arrives à nous poser les yeux bandés, tu es vraiment l’as des pilotes. »

Lynda répondit :

« Au lieu de décourager les troupes, tu ferais mieux de nous lire un Psaume. »

Félixérie fouilla dans sa sacoche derrière elle et finit par y trouver sa bible et l’ouvrit au hasard, par le milieu. Elle commença à lire :

« L’Éternel est ma lumière et mon salut :
De qui aurais-je crainte ?
L’Éternel est le soutien de ma vie :
De qui aurais-je peur ?

Quand des méchants s’avancent contre moi,
Pour dévorer ma chair,
Ce sont mes persécuteurs et mes ennemis
Qui chancellent et tombent.

Si une armée se campait contre moi,
Mon cœur n’aurait aucune crainte ;
Si une guerre s’élevait contre moi,
Je serais malgré cela plein de confiance.

Je demande à l’Éternel une chose, que je désire ardemment :
Je voudrais habiter toute ma vie dans la maison de l’Éternel,
Pour contempler la magnificence de l’Éternel
Et pour admirer son temple.

Car il me protégera dans son tabernacle au jour du malheur,
Il me cachera sous l’abri de sa tente ;
Il m’élèvera sur un rocher.

Et déjà ma tête s’élève sur mes ennemis qui m’entourent ;
J’offrirai des sacrifices dans sa tente, au son de la trompette ;
Je chanterai, je célébrerai l’Éternel.[1] »

Pendant qu’elle lisait, une paix intense envahit le cœur des voyageurs ; une lumière blanche se répandit dans l’habitacle, puis entoura l’aéroplane et balaya l’espace qui le précédait.

Sigur s’émerveillait :

« Eh bien voilà ! Plus besoin de tour de contrôle ni de radar ! Nous allons atterrir, éclairés par la lumière divine.

– J’ai une meilleure idée, répondit Lynda. Survolons Paris.

– Nous n’avons pas le droit.

– Une reine a tous les droits. »

L’appareil plongea rapidement sur les profondeurs de la capitale. Les rues étaient vides. Presque aucune voiture ne circulait.

« J’espère que nous n’allons pas nous prendre la tour Eiffel.

– Regardez ! Le palais de l’Élysée. C’est là qu’habite le Joufflu. J’aurais aimé y voir nos veilleurs. Mais j’ai l’impression que la nuit de la mort confine chacun chez soi.

– La “nuit de la mort” ! J’imagine ce qu’ont dû ressentir les Égyptiens quand ça leur est arrivé.

– Nous allons pouvoir nous poser. Nous ne pouvions pas rêver d’une plus belle piste d’atterrissage.

– Lynda ! Tu ne vas tout de même pas oser faire ça !

– Mais si ! Je vais oser : sur les Champs-Élysées ! »

 

[1] Psaume 27.1/6

 

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