Chapitre XXXI - Ottokar en a marre

Plusieurs semaines s’étaient écoulées et la princesse Éva ne dissimilait pas sa joie. Les dernières maisons étaient achevées et habitées. Les taudis avaient été rasés et l’on avait commencé la construction d’une école et de commerces de proximité.

« Voilà qui est fort encourageant, dit la reine. Et vous, les garçons, où en est votre projet ?

– Grâce à ton aide, il avance très bien et dès demain, nous pourrons ouvrir notre boutique.

– Voilà une bonne nouvelle ! Ainsi, Mohamed, tu t’es associé à ton ami dans cette belle entreprise.

– Le temps de la faire démarrer, le temps aussi de purger ma peine. Dans trois ans, je serai quitte et je repartirai certainement pour la France. Aïcha m’a envoyé une gentille lettre. Elle vient de commencer un nouveau travail social en banlieue parisienne, et elle apprécierait que je vienne l’aider. Je

 

crois que je vais répondre à son appel. Je l’aime bien, Aïcha.

– Quant à moi, ajouta Mamadou, j’aurai bientôt un nouvel associé, ou plutôt, une associée.

– Vraiment ?

– Il faut dire que je suis tombé dans un piège.

– Un piège ? s’étonna Lynda.

– Notre charmante Éva a lâché un filet au-dessus de ma tête, et je n’ai pas pu lui échapper.

– Est-ce à dire que vous avez commencé une petite romance, tous les deux ?

– Ne t’en déplaise, ma chère petite reine.

– Ma petite sœur, poursuivit Éva, j’aimerais tant que nous célébrions nos trois mariages le même jour dans la même église : Julien et toi, Fabien et Fabienne, Mamadou et moi.

– J’en serais ravie. Cette fois, je trouve ton choix bien plus judicieux que le précédent. Je m’en réjouis et vous souhaite le plus grand bonheur.

– Mamadou sera le premier Africain dans la famille royale.

– On m’appellera “le Prince noir”, » dit Mamadou en se secouant de rire.

Quelques minutes s’étaient passées dans la bonne humeur quand le marquis de Kougnonbaf se joignit au groupe.

« Tiens ! ironisa Éva. Voilà justement mon amoureux éconduit. »

« Marquis de Kougnonbaf, dit poliment Lynda, que nous vaut l’honneur de votre visite ?

– Je souhaitais vous rencontrer, ma grande reine, ma souveraine illustre… »

Mohamed haussa les épaules.

« Comme on dit chez nous : en voilà des bonjours ! »

« J’espère que vous avez constaté mes efforts pour faire oublier ma mauvaise conduite et gagner votre pardon, poursuivit le marquis. Je suis désormais un sujet bien soumis, prêt à vous obéir, et disposé à tout sacrifice pour vous plaire.

– En effet, marquis » répondit-elle froidement. Mais elle se demandait quel fiel il avait encore mêlé avec son miel.

« Et pour vous montrer mes bonnes intentions, je vous ai apporté ma dernière édition. Elle est tout à votre louange. J’espère que vous appréciez ce titre : “Lynda, la Jeanne d’Arc Syldure.”

– Marquis, je ne vous en demandais pas tant.

– Votre cote remonte dans les sondages. Soixante-deux pour cent d’opinions favorables. Et la courbe monte encore. Tout cela grâce à qui ? Grâce à Ottokar de Kougnonbaf, le génial président de “Kougnonbaf-Presse”. Vous devriez être fière de moi, et j’espère que vous m’accorderez bientôt une place dans le gouvernement.

– C’est bien ce qui me chagrine, marquis : vous faites et défaites la réputation des personnes selon votre bon plaisir. Je rêve d’une presse juste et impartiale.

– Euh !... Bon ! J’y réfléchirai, Majesté. »

Il murmurait sans articuler, assez bas pour ne pas être entendu :

« Tu ne perds rien pour attendre, ma cocotte ! »

On parla encore de choses insignifiantes, puis, constatant que le temps était beau, il fut décidé de faire une promenade dans le parc du château.

« Viendrez-vous avec nous, marquis ? proposa la reine.

– Je vous remercie beaucoup. J’ai quelques petites affaires à régler. Je vous retrouverai un peu plus tard. »

Ottokar était profondément vexé par la réflexion de Lynda concernant la partialité de son groupe de presse. Il savait qu’elle avait raison, ce qui l’exaspérait plus encore.

Ottokar s’énervait.

« Comment se fait-il qu’Elvire ne lui ait pas encore réglé son compte ? On ne peut compter sur personne ! »

Il prit la décision d’aller à la rencontre de sa complice et de lui demander des comptes. Il la chercha partout et la trouva enfin.

« Mademoiselle Saccuti, où donc étiez-vous passée ?

– Mais je suis toujours à votre disposition. Trouvez-vous étonnant que je me fasse discrète ? Je suis forcée continuelle-ment de me cacher. Tout ceci est bien pénible et je suis pressée d’en finir.

– Ça ne se dirait pas.

– Pourquoi donc ?

– Mais depuis le temps que j’ai remis cette arme entre vos mains ! Qu’est-ce que vous attendez pour abattre Lynda ? Vous la haïssez autant que moi. À moins que je me sois trompé et que vous ayez envie de sauver sa peau. À moins que vous ayez peur. À moins que vous vous fichiez de moi. Si vous avez changé d’avis, rendez-moi mon pistolet. Je l’exécuterai moi-même, ce sera vite fait. Mais oubliez aussi mes promesses. Je voulais partager le pouvoir avec vous. Je voulais vous épouser pour que vous devinssiez ma reine. Mais quand j’aurai atteint le trône, je vous ferai jeter au cachot et je vous ferai trancher la gorge.

– Mais c’est qu’il va se calmer le petit Ottokar ! En voilà des manières ! Si vous voulez m’épouser, il faudra déjà que vous appreniez à me connaître et compter avec mon caractère. Je ne suis pas une fille docile, et quand il s’agit de traquer mon ennemie, je sais me montrer impitoyable. J’attends le meilleur moment, je la poursuis, je l’affaiblis, je l’épuise, je la libère de son sang, goutte après goutte. Et quand j’ai suffisamment joui du bonheur de la faire souffrir et que je suis rassasié de ses cris d’agonie, je l’achève d’une giclée de plomb.

– C’est excellent, mais ne tardez pas trop. Pour une biche aux abois, je la trouve encore vigoureuse. »

Elvire se tut. Elle resta quelques instants dans une sorte d’extase. Une pensée étrangère avait pris la domination de son cerveau.

« Est-ce vous, Maîtresse ? – Comment ? – Maintenant ?
– J’agirai selon vos ordres. – Donnez-moi la force ! – Oui, Maîtresse. »

Puis elle se tourna vers son commanditaire :

« Soyez rassuré, marquis, mon intuition me conduit, et vous serez bientôt satisfait. J’aurai bientôt le plaisir de voir cette belle rivale s’écrouler à mes pieds. »

 

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