Chapitre VI - Dans le cercle d’or

Un an venait de s’écouler. Le prince Wilbur avait épousé la jolie princesse Sabriana. Les heureux mariés s’étaient installés au palais royal de Séquanie et baignaient tous deux dans un bonheur oisif. Conformément à ses plans, à défaut de récupérer une bru, le roi Philémon parvint néanmoins à récupérer son artillerie et sa tranquillité. Les menaces de guerre s’étaient fait oublier. Tout était donc au mieux dans le plus beau des royaumes, si ce n’est la santé du souverain qui suscitait quelques inquiétudes.

Or ce midi, Wilbur attablé trouvait à son épouse un visage contrarié.

« Qu’est-ce qui ne va pas, mon amour ?

– Rien.

– Comment ça, rien ? Tu me tires une tronche en forme de samovar et tu dis qu’il n’y a rien.

– Rien, je te dis.

– Tu ne veux pas me le dire ? Tu en as déjà assez d’être mariée avec moi, c’est ça ?

– Mais non ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?

– Alors, dis-moi ce qu’il y a.

– Il y a que je me sens menacée, voilà.

– Menacée, Mais par qui ? Je suis capable de te protéger. Si quelqu’un ose te chercher les crosses, je vais lui faire sa fête.

– Ce n’est pas ça. Comment dire ? Quand je rends mon culte devant le veau, je ne manque pas de le remercier de m’avoir donné cette beauté incomparable, et il me renvoie, dans le cercle d’or, mon image, plus radieuse que jamais.

– Je ne vois pas où est le malheur !

– Mais depuis un bon moment, il me montre une espèce de fille, mal peignée, mal habillée, mal lavée, avec des cheveux rouges. J’aimerais comprendre à quoi tout cela rime. »

« Tiens, se dit Wilbur, ça me rappelle quelqu’un. »

Le repas se poursuivit dans le silence.

« Passe-moi le sel, » dit soudain le prince.

La princesse regarda la salière qui se mit à glisser jusqu’au bord de l’assiette du prince.

Suis-je le seul à trouver cela bizarre ? Wilbur, qui a une telle peur du diable qu’il croise un démon à tous les carrefours, partage maintenant sa vie avec une femme pourvue de pouvoirs occultes.

Axel, comme nous l’avons remarqué, est un prince pieux. Il ne manque jamais la génuflexion quotidienne devant le veau d’or ni le regard sur le disque aux oracles, mais celui-ci semble tombé en panne. Il reste figé sur ce visage malpropre qu’il n’a pas envie d’aimer.

« Bon ! dit-il enfin dans sa prière, j’ai compris ton message : tu ne me lâcheras pas tant que je ne serai pas allé trouver cette petite gueuse, mais je me demande bien ce que tu lui trouves. »

 

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