Chapitre XXXI - À nous deux, Wilbur

Wilbur séjournait toujours dans sa prison. Le couple royal lui avait réservé une captivité supportable, dans la perspective d’une exécution prochaine. Sa geôle était une chambre de vingt mètres carrés, la porte était blindée et la fenêtre grillée, puisque c’est une prison, mais il disposait d’un vrai lit avec des draps et des couvertures, et la nourriture qu’on lui servait, à défaut d’être gastronomique, était substantielle. Il ne pouvait pas se plaindre d’être un prisonnier maltraité. On lui accordait même quelque lecture pour combler son ennui.

La porte se déverrouille. Le roi entre, accompagné de la reine.

« La guerre est finie, dit Axel, et tu l’as perdue.

– Qu’avez-vous fait de Sabriana ?

– Elle est en sécurité. Éliséa en a eu pitié et l’a renvoyée dans son pays.

– Elle aurait peut-être mieux fait de la tuer. Elle est si méchante ! »

Cette réflexion alluma une chandelle d’espoir dans le cœur du prince déchu. Si Éliséa a eu pitié de Sabriana, elle le prendrait aussi en pitié. C’est logique.

« Et moi ? Qu’allez-vous faire de moi ?

– Ça, répondit Axel, c’est à la reine d’en décider. C’est sa guerre, pas la mienne.

– Ce que je vais faire de toi ? répondit Éliséa, tu le sais, je te l’ai déjà dit. Tu n’as eu aucune compassion pour mon peuple, pourquoi aurai-je compassion de toi ? La potence que tu as fait ériger pour mon cousin Maurice est toujours debout.

– Oui, je le sais, pleurnicha Wilbur. C’est par cruauté que tu m’as fait enfermer dans cette pièce qui n’a qu’une seule fenêtre, laquelle s’ouvre sur le gibet. Je n’ai jamais osé y mettre le nez, à cette fenêtre. J’ai trop peur. »

Il se traîna à genoux et s’agrippa au bas de la robe de la reine.

« Demain, tu seras pendu », dit-elle froidement. Puis elle tourna les talons. Le couple royal quitta la pièce. Il pleura.

Le lendemain, tout était prêt pour l’exécution. Le bourreau, cagoulé, debout, bras croisés, attendait la victime. Debout au balcon royal, majestueux, enveloppé chacun d’un manteau d’hermine et le front couronné, le roi Axel et la reine Éliséa, attendent eux aussi, parfaitement immobiles. Dans la cour, autour du gibet, agités comme des écoliers en récréation, les privilégiés, chevaliers et barons, comtes et marquis, attendent le début du spectacle.

Le spectacle commence enfin. Encadré par deux soldats, tête basse, tremblant et pleurant, apparaît le condamné. Plus il approche de l’échafaud, plus ses jambes sont molles, il faut bientôt le traîner, la pointe de ses pieds frottent le sol. Enfin, le voilà hissé sur le lieu du supplice. La corde est passée autour de son cou. Il jette un regard furtif vers la jeune reine. Aura-t-elle une lueur de pitié ? Hélas, elle demeure impassible. Elle lève le bras et l’abaisse d’un geste vigoureux. Le bourreau manie le levier. La trappe s’ouvre. La corde se tend. Le condamné suspendu agite en vain les jambes. Les spectateurs applaudissent. Ils n’entendent pas le sifflement qui déchire l’air. Une flèche vient de traverser la cour, une large flèche à pointe triangulaire. Elle tranche la corde qui étrangle Wilbur. Celui-ci s’abat lourdement au sol. Cris de stupeur dans l’assistance. Qui a tiré ce trait ? Inutile de le demander, c’est Éliséa qui exhibe fièrement l’arc qu’elle avait caché sous son manteau royal. Elle descend l’escalier et traverse la cour en courant. Puis elle s’accroupit auprès du corps agonisant sous l’échafaud, desserre la corde qui l’étranglait. Il faut du temps à Wilbur pour reprendre son souffle, Éliséa l’entoure de ses bras. Elle attend qu’il soit en mesure de parler.

« Pourquoi ? » demanda-t-il enfin d’une voix rauque.

« Parce que le Dieu invisible a changé mon cœur, il me demande d’aimer mon prochain.

– Et qui est mon prochain ?

– Il y a des prochains plus difficiles à aimer que d’autres et tu fais partie de ceux-là. Il m’a dit aussi d’aimer mes ennemis et de prier pour ceux qui me persécutent.

– S’il a changé ton cœur, il peut aussi transformer le mien. Tu vois où m’ont conduit ma folie et mon orgueil. Je veux devenir son serviteur, et comme tu me donnes une chance de reprendre ma vie en main, je veux te servir toi aussi. Je sais m’occuper des chevaux, donne-moi une petite place dans ton écurie. J’aimerais mieux être un bon palefrenier qu’un mauvais prince. »

La reine déposa un baiser sur le front du gracié, puis on la vit paraître de sous la construction de bois, tenant par la main Wilbur titubant. Les courtisans n’y comprenaient plus rien, le roi non plus.

 

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